• Par [Jean-Pierre Maulny->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=maulny], directeur adjoint de l'IRIS

La nouvelle stratégie de défense américaine, publiée par le Pentagone au début du mois de janvier 2012 apparaît comme une réorientation majeure de la politique de défense américaine alors même que celle-ci avait déjà été revue immédiatement après l’élection du nouveau président américain en 2008.

La motivation essentielle de cette nouvelle doctrine vient de la crise économique. Celle-ci doit conduire Washington à économiser au minimum 450 milliards de dollars sur les 10 ans à venir. Certes les Américains conserveront un budget de la défense dont le montant est supérieur à la somme des budgets de défense des 10 pays qui le suivent mais cela ne leur permet plus de conduire une politique d’intervention tous azimuts comme ils l’ont pratiqué depuis le début des années 2000.

Dans cette nouvelle stratégie trois points principaux devraient retenir l’attention des Européens.

Les Américains réorientent leur dispositif stratégique sur l’Asie et le Pacifique où se situent leurs "principaux intérêts économiques et de sécurité". En soi, ce n’est pas une surprise pour les Européens qui se sont sentis abandonnés par Obama alors qu’ils espéraient du nouveau président américain un vrai partenariat après l’unilatéralisme de George W. Bush. La nouveauté est que cette réorientation est formellement exprimée dans le document stratégique le plus important des Etats-Unis ce qui n’était pas le cas auparavant.

Le format et les capacités de l’armée américaine vont être réduits. Derrière la stratégie affichée du "1 et demi", la capacité à conduire un conflit majeur dans la durée sur un point de la planète et de dissuader un autre agresseur dans une autre région du monde, se cache la nécessaire réduction du format de l’armée américaine qui passera sans doute par un retrait partiel ou total des 80 000 soldats américains qui restent stationnés en Europe. Les Américains sont conscients qu’ils ne peuvent plus conduire de front deux conflits longs et coûteux comme ils l’ont fait en Irak et en Afghanistan.

Le troisième point, le plus important sans doute, vient de la politique de "multipartnership" que veulent mettre en place les Etats-Unis pour garantir leur sécurité. Il ne faut pas s’y tromper, les Américains ne sont pas devenus multilatéralistes quand Obama a été élu en 2008. Leurs objectifs est de trouver des alliés et partenaires aux quatre coins du globe pour partager leurs intérêts de sécurité et le fardeau budgétaire de cette sécurité. En Asie, ces partenaires seront les Indiens, nommément cités dans le document du Pentagone, mais aussi le Japon, la Corée du Sud et Taïwan.

Au Proche-Orient, ces alliés seront les pays du Conseil de Coopération du Golfe et Israël. Les ennemis ? Il y a l’Iran bien évidemment, Al-Qaïda et les différents groupes terroristes. Il y a aussi la Chine en filigrane. Puissance américaine affaiblie et nécessité d’obtenir au moins une neutralité bienveillante au Proche-Orient et en Asie expliquent aussi sans doute la politique de reset qu’a essayé de mettre en place Barack Obama avec les Russes.

Et l’Europe dans tout cela ? Il y a tout d’abord une certaine ironie à constater que pour les Américains, l’Europe est désormais un enjeu de sécurité moins grand du fait de la fin du conflit irakien et du prochain désengagement d’Afghanistan. La vérité est que l’Irak et l’Afghanistan ont été avant tout des conflits américains et non des conflits européens. La France a refusé à juste titre de participer à l’intervention en Irak et les Européens n’ont jamais influé sur la stratégie et les objectifs de l’intervention américaine en Afghanistan. Aujourd’hui, le désengagement américain d’Europe peut être la meilleure comme la pire des choses pour les Européens. La meilleure des choses car elle peut inciter les Européens à mieux prendre à leur charge leurs intérêts de sécurité, à être plus autonome. C’est une nécessité pour les Européens et un souhait des Américains. Plus que de l’OTAN, ce sont des moyens militaires américains dont nous avons eu besoin en Libye.

La pire des choses car les Américains n’abandonneront pas leurs moyens de peser sur les décisions des Européens : ce n’est pas la philosophie de la politique américaine du multipartnership. D’ores et déjà, un certain nombre de menaces se profilent pour les Européens lors du sommet de l’OTAN qui se déroulera à Chicago en mai 2012. Que ce soit la question du financement du programme AGS, du souhait des Américains de voir les Européens financer en commun l’achat de missiles SM3 dans le cadre de la défense anti-missiles, ou du projet de vendre des avions de combat F-16 à un certain nombre de pays d’Europe centrale, la mutualisation des capacités militaires au sein de l’OTAN semble être synonyme "d’acheter américain".

Pour faire face à ce défi, les Européens auraient donc tout intérêt à réagir rapidement. Ils devraient réviser la stratégie européenne de sécurité qui date de 2003 et engager en commun une revue des programmes d’armement afin de réaffirmer l’autonomie stratégique de l’Union européenne et de consolider une industrie d’armement menacée par les projets américains au sein de l’OTAN.