L’Union européenne devrait bientôt imposer un embargo sur ses importations de pétrole iranien. L’objectif est de faire pression sur Téhéran pour que cesse son programme nucléaire. Thierry Coville, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), est sceptique. Interview.
Les pays de l’UE sont parvenus mercredi à un accord de principe pour interdire les importations de pétrole brut iranien si Téhéran ne s’engage pas à coopérer avec la communauté internationale sur son programme nucléaire controversé. Thierry Coville, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), en France, est sceptique.
Elle sera non seulement inefficace, mais injuste et dangereuse. Injuste car on va faire surtout du mal à la population iranienne. Les sanctions imposées jusque-là n’ont fait que renforcer la contrebande organisée par les Pasdaran [l’armée d’élite du régime islamique iranien, ndlr] et qui mène à un renchérissement des prix. L’embargo sur le pétrole ne viendrait qu’accélérer cet état de fait. Dangereuse car ce genre d’annonce ne fait que durcir les positions de chaque côté sans faire avancer le dossier du nucléaire.
Certes, mais le problème c’est qu’il y aura tout de suite d’autres candidats pour récupérer au moins une partie de ces 18%. La Chine, l’Inde, le Japon, la Corée du Sud… Tous les pays asiatiques en croissance ont besoin d’énergie. Et pour eux, il n’est pas question d’embargo. D’ailleurs, si l’Iran brade un peu les prix pour écouler sa marchandise plus facilement, ces Etats ne se priveront pas.
Absolument et les dirigeants iraniens savent qu’ils sont très forts sur ce point. Dès qu’ils émettent une menace, il y a un impact direct sur les prix du pétrole. Alors si l’instabilité se poursuit, l’embargo européen pourrait voir sa force beaucoup plus limitée, l’Iran retrouvant ses marges sur la hausse du prix du baril. Le pays n’effacera peut-être pas la perte que représente le marché européen, mais si les pays asiatiques prennent une partie du pétrole européen, on ne serait probablement pas loin de la totalité de ces pertes potentielles.
Cela dépend pour qui. Pour la plupart des Etats européens, le pétrole iranien ne représente pas grand-chose. Mais pour certains Etats comme l’Italie, la Grèce où l’Espagne, le pétrole iranien représente tout de même au moins 15% de leur consommation. Alors ils devront trouver d’autres sources d’approvisionnement. L’Arabie Saoudite a dit qu’elle augmenterait sa production de pétrole pour fournir les Européens. Mais ce n’est pas aussi simple que cela. Elle fait partie de l’Opep, et qui est à la tête de l’Opep ? Un iranien! La promesse saoudienne me semble donc compliquée à mettre en oeuvre.
On est typiquement dans la guerre des mots. Les Occidentaux ont pris l’habitude d’imposer des sanctions sans que l’Iran ne réagisse vraiment. Mais là, l’Europe veut frapper au coeur de l’économie iranienne. Alors l’Iran riposte. Mais des paroles aux actes, il y a une limite puisque l’Iran lui-même aurait des problèmes en fermant le détroit. Le pays pourrait tout au plus perturber le passage. C’est une sorte d’arme de la dernière chance qui est brandie par Téhéran.
C’est totalement impossible aujourd’hui. Les Chinois et les Russes n’accepteront jamais de voter une résolution qui irait dans ce sens. Ils sont d’accord sur des sanctions qui viseraient à bloquer l’aspect militaire du programme nucléaire mais ne donneront pas leur autorisation à une sanction qui pèserait sur la population. Parce qu’il ne faut pas oublier que derrière le pétrole en Iran, il y a la population et l’éducation.
D’abord en arrêtant avec cette politique de sanction qui mène à des réactions de plus en plus dures du pouvoir iranien. Car là on ne fait qu’inciter le gouvernement à poursuivre son programme d’enrichissement d’uranium. Il faut redonner la priorité aux négociations et renforcer le rôle de l’Agence internationale de l’énergie (AIEA) dans le pays. Et ces discussions n’ont pas été vaines depuis le temps qu’elles existent. En 2003 par exemple, l’Iran avait accepté l’arrêt de l’enrichissement de son uranium. En 2010, elle avait accepté de transférer son uranium au Brésil et en Turquie, mais l’Europe avait refusé. Les discussions doivent donc reprendre car hors des pourparlers, il n’y a pas d’issue.