2,6 %. C’est le taux de croissance que prédit le Fonds monétaire international (FMI) pour la Russie en 2024, dans ses dernières perspectives de l’économie mondiale. Une performance qui surpasse largement les prévisions pour la zone euro. « [Elle] devrait passer d’un taux faible estimé à 0,5 % en 2023, dû à une exposition relativement élevée à la guerre en Ukraine, à 0,9 % en 2024 », avance l’institution internationale, qui, l’an dernier, avait sous-estimé la résistance de l’économie russe. Au lieu de la récession annoncée en conséquence de la guerre, le pays a enregistré une croissance d’environ 3 %, quand l’Allemagne sombrait dans le négatif, plombée par la crise énergétique.
De quoi permettre à Vladimir Poutine de jubiler. « Ils ont prédit une récession, un échec, un effondrement, que sous la pression des sanctions nous reculerions, capitulerions et nous effondrions. Je voudrais leur adresser ici un geste célèbre », a-t-il déclaré, sourire en coin, en s’abstenant toutefois de joindre le geste à la parole, lors d’un déplacement dans la ville industrielle de Toula, le 1er février.
Les matières premières se vendent bien
Comment la Russie a-t-elle réalisé ce tour de force ? Pour Jean de Gliniasty, directeur de recherches à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), qui publie France : une diplomatie déboussolée, le 14 février, c’est d’abord une victoire de la diplomatie. « Elle est parvenue à trouver des marchés de substitution pour les matières premières, constate l’ancien ambassadeur de France en Russie. Il y a eu toute une préparation diplomatique pour assurer leurs arrières. »
Si les Européens ont cessé d’acheter le pétrole russe, celui-ci s’est écoulé ailleurs, en Chine et en Inde principalement. « Avant, l’Inde, c’était seulement 1 % », note l’ex-diplomate. D’autre part, la Russie est parvenue à s’entendre avec les autres pays producteurs pour maintenir des prix élevés. L’année a également été bonne pour l’agriculture. « Ils ont eu la plus grande production de céréales de leur histoire », observe Jean de Gliniasty. Ces échanges internationaux ont été rendus possibles grâce à la constitution d’une énorme flotte de navires, appelée flotte grise ou flotte fantôme, pour ses origines floues.
Chômage en baisse et salaires en hausse
Sous l’impulsion notamment du Premier ministre Mikhaïl Michoustine, la Fédération a basculé dans une économie de guerre, qui a profité à l’industrie. « La production industrielle a augmenté considérablement. Il y a 120 chars qui sortent chaque mois », décrit le chercheur de l’Iris. Conséquence : le chômage a baissé en dessous des 3 % et les salaires ont grimpé. Le déficit public, lui, est resté contenu aux environs de 1,5 % du PIB. Des efforts financés notamment en réduisant d’autres investissements et en puisant dans l’épargne. « Les réserves ont été ponctionnées. Ils avaient autour de 600 milliards de dollars. On doit être à moins de la moitié », estime Jean de Gliniasty.
Des sanctions contournées
Le sursaut de l’économie russe s’explique aussi par les angles morts des sanctions internationales. « Quand on met des sanctions et que la moitié du monde ne les suit pas, elles sont contournées », pointe l’ex ambassadeur. De nombreux produits continuent à entrer par des moyens détournés, grâce au rôle de « passerelles », tenus par des pays comme la Turquie, l’Arménie, la Géorgie ou Dubaï. « L’importation de Mercedes en Géorgie, c’est 400 fois le marché habituel », souligne Jean de Gliniasty. Dans l’autre sens, la Russie continue de faire commerce avec l’Occident, pour des produits qui ne sont pas frappés par les interdictions, comme l’uranium et le titane.
Une treizième série de mesures est en préparation, cette fois à l’encontre des pays qui participent activement au contournement.
Les Européens remplacés
La nature ayant horreur du vide, le départ massif des sociétés européennes a attiré de nouveaux investisseurs. Les usines automobiles françaises ont par exemple été confiées à des marques chinoises. « Et le marché a retrouvé son niveau d’avant la guerre. Les Chinois ont pris la place. Toutes les grandes marques sont implantées », dépeint le chercheur.
Les prix flambent
Tout n’est toutefois pas si rose pour la population russe. L’inflation est toujours au-delà des 7 %, après avoir culminé à 15 %. « L’économie de guerre implique qu’on produise des armes et pas du beurre, explique Jean de Gliniasty. Ce n’est pas bon pour la Russie. C’est une population qui n’a plus accès au même niveau de consommation. » Les prix de certains produits de première nécessité, comme les œufs, ont flambé.
À terme, le spécialiste de la Russie souligne aussi un risque d’appauvrissement technologique et une trop forte dépendance à la Chine qui resserre chaque jour un peu plus son étreinte.
Propos recueillis par Arnaud Le Gall pour l’Ouest-France