• Interview de [Pascal Boniface->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=boniface], directeur de l’IRIS, par Jérôme Anciberro et Loïc Barrière

Dans un essai à fort potentiel polémique, le politologue Pascal Boniface s’attaque à la domination médiatique de certains intellectuels.

Qui sont les « intellectuels faussaires » que vous dénoncez dans votre dernier livre ?

Ce sont des gens, tels Alexandre Adler, Bernard-Henri Lévy, Caroline Fourest, Philippe Val et bien d’autres, qui bénéficient d’une exposition médiatique démesurée par rapport à leur apport réel au débat intellectuel. Ces gens ont pignon sur rue, ne cessent d’être invités sur les plateaux de télévision ou à la radio, alors même que tous ceux qui sont un peu informés savent que ce sont de véritables faussaires, que leur légitimité est nulle auprès des spécialistes des questions qu’ils abordent, et qu’ils mentent sciemment pour défendre leurs idées.

Il n’empêche que ces intellectuels sont populaires. On peut supposer qu’ils apportent quelque chose au public.

Justement non. Prenez Bernard-Henri Lévy : il est tout sauf populaire. Je le mets au défi de venir faire une simple conférence dans un lycée ou une université sans déclencher les protestations ou l’hilarité. Son dernier livre, malgré une promotion médiatique démentielle, ne s’est vendu qu’à 3 500 exemplaires. Ce sont ses positions de pouvoir dans le domaine médiatique qui impressionnent ceux qui l’invitent. Bernard-Henri Lévy est président du conseil de surveillance d’Arte, actionnaire de Libération, membre du conseil de surveillance du Monde… Il a fait et défait des carrières, voilà tout.

D’autres intellectuels médiatiques ont plus de succès, comme Caroline Fourest qui remplit les salles, ou Alexandre Adler. Mais cette exposition ne les rend pas pour autant légitimes dans la mesure où leur discours ne satisfait pas aux conditions normales du débat intellectuel. L’essentiel de leur technique consiste à délégitimer ceux qui ne partagent pas leurs idées au nom de la morale. Puisque les causes qu’ils défendent leur paraissent justes, tout est bon pour les défendre, y compris l’amalgame et le mensonge. Dans les pays anglo-saxons, au bout d’un moment, on arrêterait de leur tendre le micro.

Peut-être que le succès de ces intellectuels est lié à leur capacité à mobiliser l’opinion sur des causes difficiles.

Je ne vois pas en quoi les causes qu’ils défendent sont difficiles dans le monde médiatique où ils s’ébattent. C’est même l’inverse. Prenez Caroline Fourest. Son succès est lié à ses attaques contre Tariq Ramadan. Mais Tariq Ramadan n’a justement aucun pouvoir dans le monde médiatique. Aujourd’hui, Caroline Fourest sort un livre sur Marine Le Pen. Je n’ai aucune sympathie pour les idées de Marine Le Pen, mais rien de plus facile, médiatiquement parlant, que de s’attaquer à elle. La ruse est là : faire croire que la visibilité des cibles équivaut à leur puissance. On est très loin de la grande tradition des intellectuels qui consistait à lutter contre les pouvoirs. Il ne suffit pas de citer Voltaire ou Zola pour être leurs héritiers.

Les intellectuels « faussaires » que vous citez partagent certaines idées politiques, par exemple leur soutien à la politique israélienne ou leur regard critique sur l’islam. On pourrait vous soupçonner de livrer un combat politique en pub­liant votre ouvrage.

Ce ne sont pas leurs idées que je combats ici, mais leur manière de participer au débat public. J’ai de profonds désaccords avec d’autres intellectuels médiatiques. Cela ne veut pas dire que je les considère comme des « faussaires ». Un exemple : je ne suis pas d’accord avec Alain Finkielkraut, notamment sur le Proche-Orient ou sur sa manière de confondre question sociale et question ethnique, mais je pense que ce dernier est profondément sincère et qu’il ne cherche pas à manipuler le public lorsqu’il débat.