Cela fait des années que l’on subit leur «terrorisme intellectuel», comme le qualifie Pascal Boniface et, pour la plupart d’entre eux, leurs positions va-t-en-guerre. Il publie une charge (1) contre ces intellectuels omniprésents dans le débat public, remettant en question la sincérité de ces journalistes (Caroline Fourest, Philippe Val, Mohamed Sifaoui), philosophes (Bernard-Henri Lévy) ou experts (François Heisbourg, Thérèse Delpech), qui se rendent indispensables, accuse-t-il, moins par la force de leurs idées que par celle de leur réseau. Mais, sur le fond, quel discours portent ces « intellectuels faussaires»?
Disons que j’étais de plus en plus agacé de voir que des intellectuels usant du mensonge et du double discours puissent circuler en toute impunité. Je précise encore une fois qu’il ne s’agit pas de désaccords intellectuels, qui sont nécessaires au débat public. Tout m’oppose, par exemple, à Alain Finkielkraut, mais je le crois sincère dans ce qu’il dit, contrairement aux intel¬lectuels faussaires que je dénonce dans mon ouvrage.
A ce moment-là, c’est leur statut d’expert qui doit être remis en cause. Concernant les deux exemples que je cite, ceux de François Heisbourg et de Thérèse Delpech, je doute très franche¬ment de leur sincérité. Je pense qu’ils ont repris une argumenta¬tion américaine qui se situait dans la ligne droite de leur pensée. Comment expliquer qu’un régime qui subit un embargo depuis 12 ans et dont l’arsenal a été détruit puisse avoir des armes nucléaires?
Je ne dirais pas qu’ils sont tous néoconservateurs. D’ailleurs, je reconnais que BHL s’est opposé à la guerre en Irak. Quelle est la logique commune à ces gens? Peu ou prou, ils pensent que l’Occident a des valeurs supérieures au reste du monde. Ils ont la perception que ce monde occidental est menacé par l’émer¬gence d’autres puissances et qu’il faut le défendre, y compris par la force. Ils ont également comme point commun de placer le ter¬rorisme islamique au rang de menace globale équivalente à celle que représentait le nazisme dans l’expression de sa puissance, et de faire de la défense d’Israël une priorité, quel que soit le comportement du gouvernement israélien. Bien évidemment, chacun exprimera ces points de vue avec plus ou moins de nuances.
On a vécu pendant 10 ans dans un climat de terrorisme intellectuel assez lourd, où celui qui essayait de réfléchir aux causes du terrorisme était accusé d’être complice du terrorisme, et où les remises en question de la politique occidentale étaient assi¬milées à une forme de syndrome de Stockholm par rapport aux terroristes. La mort de Ben Laden et les printemps arabes viennent encore plus remettre en cause la validité de leurs thèses. Mais vont-ils pour autant être remis en question? Je crois mal-heureusement que non. Il y a un déca¬lage entre la cohérence de leurs thèses et leur omniprésence médiatique, qui tient avant tout à la force de leur réseau.
Caroline Fourest m/a accusé d’avoir soutenu les pires régimes arabes et a posé la question du finan¬cement de l’IRIS, sous-entendant que nous étions sous la tutelle de dicta¬tures. C’est une accusation rituelle à partir du moment où on s’est opposé à la guerre en Irak. Mais je suppose que la plupart n’avanceront pas frontalement, car ils ne sont pas pour le débat public. J’y suis habitué. Dès 2003 et la polémique liée à mon livre « Peut-on critiquer Israël ? », Bernard-Henri Lévy avait essayé d’avoir ma peau comme di¬recteur de l’IRIS.
Effectivement, il bénéficie d’une impunité totale et je n’ai pas l’espoir avec mon livre de nuire à sa carrière ou de limiter son es¬pace médiatique. II y a un degré de servilité inouï à son égard et qui pose question sur le fonctionnement de notre démocratie et d’une partie des médias dominants. Je vou¬lais surtout démontrer que derrière cette re¬vendication d’intellectuel libre et voltairien se cache un redoutable censeur. C’est quelqu’un qui tente en permanence de pro¬mouvoir ses amis, de briser la carrière de ceux qui ne sont pas suffisamment admiratifs.