• Analyse de [Jean-Pierre Maulny->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=maulny], directeur adjoint de l’IRIS

Le retrait anticipé des troupes françaises d’Afghanistan devrait être un non événement lors du sommet de l’OTAN qui se déroulera à Chicago les 20 et 21 mai. Même si les Etats-Unis, et un certain nombre d’autres partenaires de l’OTAN, font pression sur le président français nouvellement élu, François Hollande, cela ne changera rien à sa décision et ce pour plusieurs raisons.

La crainte principale des Américains ne porte pas sur le retrait des troupes françaises en lui-même mais sur l’effet d’entraînement négatif qu’il pourrait provoquer chez nos partenaires sachant que l’OTAN a décidé d’achever la période de transfert du contrôle des territoires à l’armée afghane en 2014. Cela étant l’argument utilisé "nous sommes tous entrés en même temps nous ressortirons tous en même temps", n’est pas recevable pour ce conflit qui dure désormais depuis plus de 10 ans. Les pays de la coalition se sont engagés à des moments différents en Afghanistan. Ainsi les Espagnols ont renforcé leur contingent, pour compenser le retrait de leurs troupes d’Irak décidé par José Luis Zapatero, en 2004. Nous-mêmes n’avons-nous pas doublé notre contingent que très tardivement en 2008. Pour ce qui est du retrait, les Néerlandais se sont retirés en 2010 et les Canadiens en 2011. Quant au véritable signal du départ ce sont les Américains qui l’ont donné quand Barack Obama a annoncé le retrait de 30 000 hommes de troupes en juillet l’année dernière. Immédiatement après cette annonce, Nicolas Sarkozy, alors président de la république, a annoncé le retrait d’un quart du contingent français, soit 1 000 hommes de troupes. Le même Nicolas Sarkozy devait décider en janvier 2012 d’accélérer le retrait de nos troupes à la fin 2013 après la mort de 4 soldats tués par un militaire afghan en janvier 2012. La vérité est qu’il n’y a jamais eu de gestion collective du conflit afghan, ce que l’on peut regretter d’ailleurs au niveau de l’Union européenne.

Militairement parlant le retrait français ne changera rien non plus. Avec 3 400 hommes, notre contingent représente à peine plus de 2% des 130 000 hommes des forces de la coalition. Nous avons déjà transmis à l’armée afghane le contrôle de la région de Surobi en avril 2012 et ce transfert est en train de se réaliser en Kapisa. Le départ des troupes françaises ne changera donc pas le rapport de forces en Afghanistan. Il ne faut pas oublier non plus que les Américains retirent leurs troupes au rythme de 30 000 hommes par an là où nous allons retirer 3 400 hommes en 6 mois. L’argument selon lequel notre départ créerait un embouteillage n’est pas pertinent non plus. Bien au contraire, on peut penser que les tarmacs des aéroports de Kaboul et Bagram connaîtront la pleine affluence à la fin de l’année 2013 et non aujourd’hui.

La vraie question qui sera posée lors du sommet de l’OTAN de Chicago, les 20 et 21 mai, puis à la conférence de Tokyo au mois de juillet, est celle de l’après 2014 et de l’avenir politique de l’Afghanistan. Au-delà de la formation de l’armée afghane, les Américains souhaitent maintenir des troupes combattantes pour continuer à lutter contre les djihadistes d’Al-Qaïda évoluant près de la frontière pakistanaise. Cela peut être aussi un moyen de maintenir en vie le régime du président Karzaï qui risque de tomber comme un château de cartes une fois les troupes de l’OTAN parties. Le souhait exprimé par le président afghan d’avancer les élections en 2013 pourrait relever du même calcul : se faire réélire tant que l’OTAN est en Afghanistan et protègent son régime. Parallèlement la stratégie américaine pourrait être de chercher un pouvoir de substitution à Kaboul, y compris taliban, à condition qu’il ne leur soit pas trop défavorable c’est-à-dire qu’il ne tolère pas la présence des combattants d’Al-Qaïda sur leur sol.

Pour faire face à ces risques la poursuite de la formation de l’armée afghane et l’aide au développement constituent certes aujourd’hui des réponses nécessaires. Mais nous ne pouvons nous contenter d’une politique qui ne donne pas toute satisfaction. L’aide au développement non contrôlée, mal coordonnée a été un des facteurs qui a accru le phénomène de la corruption et qui a créé une situation de dépendance malsaine. L’Afghanistan vit aujourd’hui à la fois sous perfusion occidentale et sans réelle gouvernance.

De même le propre d’une armée est un jour de pouvoir se former elle-même. Le début du programme de formation de l’armée afghane date du début du conflit puisque ce sont les Américains qui ont assuré cette tâche initialement à partir de 2002. L’OTAN a pris le relais par la suite et cette mission devrait perdurer après 2014. Il serait donc nécessaire de fixer une date pour la fin d’une mission qui ne peut se prolonger indéfiniment.

Enfin les alliés devraient surtout s’interroger sur le phénomène de développement des Etats faillis, sorte de "banlieues" à l’échelle internationale où se développent tous les cancers, terrorisme, trafics en tous genres, criminalité organisée. Il est en effet illusoire de penser que ces menaces puissent se traiter uniquement à coup d’opérations militaires qui ont montré leurs limites.