• Analyse de [Pascal Boniface->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=boniface], directeur de l’IRIS

Au-delà de ses investissements financiers à l’étranger et de son activisme dans le sport, Doha multiplie les contacts au Moyen-Orient. Y compris avec les mouvances islamistes.

Depuis que le Qatar a pris, pour 40 millions d’euros, le contrôle du PSG, il est omniprésent dans les médias français. Cette hypervisibilité due à sa diplomatie sportive ne doit pas cacher le poids économique et stratégique du pays. Soumis aux appétits concurrents de l’Arabie saoudite et de l’Iran, dans une zone tourmentée, trop faible pour se défendre lui-même, assez riche pour exciter les convoitises, le Qatar a choisi la France comme assurance complémentaire de sécurité, à côté du contrat principal souscrit auprès des Américains, jugés peu fi ables en cas de problème majeur avec Riyad.

L’explosion du prix des matières premières énergétiques a donné une force de frappe financière à cet émirat très peu peuplé. Elle est gérée avec rigueur par des équipes compétentes réunies autour d’un petit noyau de dirigeants qui veulent compenser la faiblesse stratégique du pays par une vision à long terme. Le Qatar veut exister sur la carte, Al-Jazira et le sport en sont les vecteurs et, à long terme, les investissements à l’étranger en sont le moyen. Il veut désormais exister stratégiquement, estimant que la globalisation, si on est riche, permet d’échapper partiellement aux contraintes démographiques.

Accusé d’être, via Al-Jazira, le porte-parole de Ben Laden, le Qatar héberge la base militaire de Centcom, à partir de laquelle est partie la guerre d’Irak en 2003. Soutenant fortement le Hamas, il a, jusqu’à la guerre du Liban, hébergé un bureau d’affaires israélien et accueilli en 2008 Tzipi Livni, alors ministre des Affaires étrangères d’Israël, dans une conférence internationale. Il joue le rôle d’intermédiaire entre les factions soudanaises. Il participe activement à la reconstruction du sud du Liban, en bonne intelligence avec le Hezbollah. Ces contacts ne sont pas contradictoires, le Qatar est pragmatique, il discute avec tous ceux qui comptent. Là où l’Arabie saoudite veut faire du prosélytisme religieux, le Qatar tient compte des rapports de forces et se conforme aux réalités de terrain pour défendre son intérêt national. Lorsqu’un bureau des talibans est ouvert à Doha, cela n’offusque pas les Américains, mais leur permet au contraire de nourrir des contacts utiles pour l’avenir. Le Qatar maximise son influence là où il peut. Il le fait donc avec les mouvances islamistes, mais n’y limite pas son horizon.

Al-Jazira a fait campagne contre Ben Ali et Moubarak. Mais le Qatar est allé plus loin en participant militairement à la guerre en Libye, sans parler de l’aide matérielle au Conseil national de transition (CNT). Le Qatar a fourni la caution arabe à l’intervention de l’Otan. Il l’a fait autant pour développer les liens avec les pays occidentaux belligérants que pour aider les forces islamistes. Le Qatar fait campagne au sein de la Ligue arabe contre le régime syrien. Il s’agit, au-delà du combat contre le régime répressif, de combattre un allié de l’Iran. La question est de savoir si le Qatar ne risque pas – paradoxe pour un petit pays – la surextension impériale. Le Qatar n’apparaît-il pas trop gourmand, trop actif? Face à une Arabie saoudite tétanisée par le « printemps arabe », un Irak toujours déchiré, une Egypte dans la tourmente? Son action, saluée initialement, suscite désormais la jalousie.