• Pascal Boniface

À l’issue d’une réunion internationale de soutien à l’Ukraine qu’il avait lui-même organisée, le président Emmanuel Macron a fait des déclarations qui ont défrayé la chronique. Il a émis l’hypothèse que des troupes occidentales pourraient être envoyées pour aider l’Ukraine, en difficulté sur le terrain. Il a parlé d’ambiguïté stratégique. Il n’a pas dit qu’il projetait de mobiliser des troupes, mais il n’a pas voulu rejeter cette option. Si des troupes occidentales sont envoyées combattre en Ukraine, cela revient à entrer en guerre directement contre la Russie. Il conviendrait d’y regarder à deux fois avant de se lancer dans une telle aventure contre un pays dont on connaît l’agressivité et qui dispose de l’arme nucléaire.

Les déclarations du président français ont surpris les militaires français présents à la conférence. Mais ce sont surtout les partenaires européens et occidentaux de la France qui ont le plus vivement réagi. L’Allemagne, la Pologne et le Royaume-Uni, les plus forts soutiens de l’Ukraine, ont affirmé qu’il n’était pas question d’y envoyer des troupes. Du côté des États-Unis, le président Joe Biden a constamment affirmé qu’il n’était pas question d’envoyer des soldats américains.

Un réel risque d’engrenage

Il est nécessaire de distinguer l’envoi de matériel pour aider l’Ukraine à résister à l’agression russe de la participation directe à ce conflit qui prendrait dès lors une tout autre nature. Ce type de déclaration fait peser un réel risque d’engrenage. Alors que le président Macron a été désavoué par l’ensemble de ses homologues, il affirmait que les idées initialement désavouées pouvaient progresser dans les esprits. Mais ce n’est pas équivalent d’envoyer des chars ou des avions, idée initialement refusée au départ, que d’envoyer des troupes, ce qui ferait entrer dans la cobelligérance voire la belligérance directe avec la Russie.

Qu’est-ce qui a pu conduire le président Emmanuel Macron à une telle déclaration ? On sait qu’il aime être disruptif, provoquer et surprendre. A-t-il cédé à ce qui peut apparaître comme une « intuition géniale », mais qui s’avère plutôt contre-productive ? On se souvient de sa proposition, au lendemain des attentats du 7 octobre 2023 menés par le Hamas en Israël, de créer une coalition internationale anti-Hamas sur le modèle de la coalition internationale anti-Daesh. Cette idée « géniale » était apparue tout à fait irréaliste et avait été largement rejetée.

Satisfaire les commentateurs

Deuxième hypothèse, y voit-il une fenêtre d’opportunité ? Les États-Unis sont bloqués par les désaccords au Congrès sur l’aide à l’Ukraine. Joe Biden n’a pas les mains libres. L’Allemagne, premier contributeur en Europe pour l’aide à l’Ukraine, est hésitante : elle ne livre pas les missiles Taurus, réclamés à cor et à cri par les Ukrainiens. Les Britanniques, en dehors de l’Union européenne, sont pris par leurs propres enjeux de politique intérieure. Aussi Emmanuel Macron aurait pu vouloir jouer un coup en cherchant à prendre le leadership de l’aide à l’Ukraine, alors que la France a longtemps été considérée comme l’allié le plus réticent ayant fait trop de compromis avec Moscou.

Or une telle proposition satisfait l’atmosphère occidentaliste qui règne dans le débat médiatique français et dans une partie de la communauté stratégique. De retour de Chine, interviewé dans l’avion, le président Macron avait déclaré que la bataille idéologique pour l’autonomie stratégique européenne était gagnée. Je ne le crois pas. Elle est peut-être gagnée dans l’opinion publique, mais pas dans la communauté stratégique ni dans les milieux médiatiques, beaucoup plus fortement occidentalistes. Le président Macron a-t-il voulu satisfaire les commentateurs, en leur indiquant qu’il était le plus dur à l’égard de la Russie ? Mais entre être dur avec la Russie et courir le risque d’être entraîné dans une guerre, il faut peser les risques et se méfier des engrenages.

Le prix à payer

Un soutien en hommes à l’Ukraine revient donc à entrer en guerre contre la Russie. Le prix à payer pour la libération de l’Ukraine ne vaut pas une guerre mondiale. Va-t-on mourir pour le Donbass (que l’Ukraine négligeait il y a peu) ?

Il y a un risque que l’Ukraine devienne l’horizon majeur, voire principal de la diplomatie française. Il y a déjà eu le tournant de Bratislava, lors duquel le président Macron avait voulu satisfaire les Européens de l’Est – la Pologne et les pays Baltes – en affirmant qu’il avait vraiment changé et qu’il était déterminé à l’égard de la Russie. Il y a désormais visiblement une surenchère. Il y a quelques jours, le ministre français des affaires étrangères, Stéphane Séjourné, s’est rendu en Argentine pour célébrer la politique extérieure de Buenos Aires, l’Argentine étant l’un des très rares pays latino-américains à soutenir l’Ukraine. Applaudir ce soutien fait peser le risque de se couper des autres pays latino-américains, alors que la France pourrait servir de pont entre le Sud global et le monde occidental.

La France est un pays occidental, mais son ADN géopolitique ne peut pas se résumer qu’à cela. L’Ukraine ne peut pas être l’alpha et l’oméga de la politique étrangère de la France, dont l’intérêt consiste au contraire à développer des relations avec le monde non occidental, au moment justement où il gagne en importance sur le plan géopolitique.

Par ailleurs, quels sont les buts de guerre ? Le président Zelensky affirme toujours qu’il veut libérer tous les territoires perdus depuis 2022 et 2014. Cela paraît difficile d’un point de vue militaire, sauf à ce que l’Occident se précipite dans la guerre. Mais il reste essentiel de réfléchir aux conséquences extrêmement lourdes d’une telle annonce. Soutenir massivement l’Ukraine en armes et entrer en guerre à ses côtés sont deux histoires complètement différentes.

 

Publié par La Croix.