Dès la fin du raid d’un commando américain à Abbottabad, le président Barack Obama a réaffirmé que la mort d’Oussama Ben Laden avait été la priorité des Etats-Unis dans la "guerre contre le terrorisme". Le président américain n’a fait que rappeler la principale justification de l’intervention contre l’ "émirat islamique" des talibans.
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington, les Etats-Unis pointent du doigt la responsabilité d’Al-Qaïda et le président Georges Bush fait de la capture d’Oussama Ben Laden, "mort ou vif", le principal objectif de "la guerre" contre le terrorisme. Le 18 septembre, le Conseil de sécurité des Nations Unies exige l’extradition de Ben Laden et Georges Bush déclare que "les talibans doivent livrer les terroristes ou ils partageront leur sort".
Devant la menace d’une intervention militaire américaine et la pression du Pakistan, Mollah Omar réunit un conseil des oulémas pour qu’il se prononce sur la demande de Washington. Le conseil préconise un départ volontaire de Ben Laden vers le pays de son choix. Les avis divergent. Certains étaient convaincus que l’extradition de Ben Laden n’aura pas empêché l’intervention militaire américaine. D’autres estiment que le Pakistan, engagé à leur côté, ne tolèrerait pas que son territoire serve à une offensive militaire contre l’Afghanistan. Finalement, les talibans refusent de renvoyer le chef d’Al-Qaïda
Peut-on conclure que la mission des forces américaines en Afghanistan touche à sa fin ? Le débat est lancé à Washington. L’influent sénateur républicain Richard Lugar déclare qu’"alors que Al-Qaïda est largement affaibli dans le pays et franchisé ailleurs, l’Afghanistan n’a pas de valeur stratégique qui justifie la présence de 100 000 soldats américains et 100 milliards de dollars de dépense annuelle ". Le sénateur se fonde à l’évidence sur les sources américaines qui chiffraient à une centaine le nombre de partisans de Ben Laden dans ce pays en 2010. En France, un retrait des soldats est désormais envisagé dès cette année.
Bien que Ben Laden n’était plus vraiment opérationnel, sa mort constitue une victoire pour les Etats-Unis et pour Barack Obama. Il reste à savoir si cette mort pourrait avoir des conséquences sur la guerre en Afghanistan. La stratégie américaine telle que définie par Barack Obama en décembre 2009, consiste à lutter contre Al-Qaïda, à affaiblir les talibans et non à les vaincre militairement. Le but du " surge " en 2010 était d’affaiblir les talibans dans le sud et de créer un climat favorable à des négociations entre Kaboul et les talibans. Cependant, l’envoi de 30 000 soldats supplémentaires n’a pas modifié fondamentalement le rapport de forces sur le terrain en dépit des quelques succès militaires dans les provinces de Helmand et Kandahar. Les talibans ont même étendu leur influence dans des provinces du nord jusqu’ alors épargnées.
La raison principale du refus des talibans se trouve du côté du Pakistan. Les négociations telles qu’elles étaient conçues et menées par le gouvernement de Hamed Karzaï avec l’accord de Washington excluaient ce voisin. Hamed Karzaï devait tenir compte de l’hostilité de ses alliés de l’ex-alliance du nord à l’implication du Pakistan. En effet, ces derniers n’ont cessé de réclamer l’extension de la guerre sur le territoire du Pakistan, " la véritable base du terrorisme ". L’opposition dirigée actuellement par l’ex-candidat aux présidentielles Dr. Abdullah Abdullah s’oppose même à des négociations entre Hamed Karzaï et ses " chers frères mollah Omar et Gulbuddin Hekmatyar ", selon la formule du président afghan lui-même. Il a confirmé sa position au cours d’un grand rassemblement tenu à Kaboul, le 5 mai 2011.
Cet avis n’est pas partagé par Washington qui s’attend à d’éventuels changements dans l’attitude des talibans après la mort de Ben Laden. Dans une note rendue publique par le Pentagone le 5 mai, Robert Gates, le secrétaire d’état à la Défense souligne l’hostilité d’une partie des talibans à Al-Qaïda. Pour l’analyste afghan, Wahid Mojda, dans le passé proche des talibans, les sentiments anti-Ben Laden datent de l’attentat de Nairobi au Kenya en 1998, suivi de la riposte américaine par des tirs de missiles sur une base d’Al-Qaïda dans l’est de l’Afghanistan. Ces sentiments existent malgré l’amitié entre Ben Laden et mollah Omar. L’espoir américain se heurte dans l’immédiat à l’intransigeance des talibans qui ont affirmé que la mort de Ben Laden "apportera un nouveau souffle au djihad contre les occupants étrangers".
Le débat sur "le double jeu" du Pakistan dans la lutte contre le terrorisme ne prend pas en compte plusieurs éléments. Premièrement, les Etats-Unis et le Pakistan n’ont pas les mêmes intérêts dans la guerre en Afghanistan. C’est une guerre américaine et le Pakistan ne doit pas y être associé, pense une majorité des Pakistanais. Deuxièmement, sans implication du Pakistan, il n’y aura pas de solution politique en Afghanistan. La guerre en Afghanistan a, en effet, contribué à la création du Mouvement des talibans du Pakistan (TTP) dans les zones tribales pachtounes et la jonction avec les talibans afghans également pachtounes. Cette unité est la hantise du Pakistan qui y voit un danger pour son intégrité territoriale. En le combattant, le Pakistan a perdu plus de 3 000 soldats et 4 200 civils avec les attentats perpétrés depuis 2007. Une telle situation, ajoutée à la fragilité du Pakistan vis-à-vis de l’Inde le nouveau partenaire stratégique de Washington dans la région, est insupportable pour Islamabad.
Le dossier le plus urgent pour les Etats-Unis reste bien évidemment l’Afghanistan. La réussite de la nouvelle stratégie américaine est fondée sur une réconciliation entre le gouvernement de Kaboul et les talibans. Personne ne peut cependant affirmer que les négociations entre les deux parties puissent progresser sans consentement d’Islamabad. Le Pakistan a les moyens de freiner ou d’avancer la réconciliation entre les Afghans. En février 2010, le Pakistan a arrêté Mollah Baradar, le n°2 des talibans, réputé modéré et désireux de négocier avec Kaboul sans l’avis du Pakistan.
L’optimisme américain s’explique peut-être par la récente évolution dans les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan, laquelle explique probablement pourquoi les services pakistanais ont lâché Ben Laden. Après avoir écarté le ministre de l’intérieur, Hanif Atmar, et le président du conseil de sécurité nationale, Amroullah Saleh, considérés hostiles au Pakistan, le président afghan, Hamed Karzaï, et le premier ministre pakistanais, Youssouf Réza Guilani, se sont mis d’accord récemment pour créer une commission commune sous leur autorité destinée à mener à bien la réconciliation inter-afghane, assurant ainsi un droit de regard sur la façon dont les talibans seront associés au pouvoir à Kaboul.