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  • Kader Abderrahim

    Spécialiste du Maghreb et de l’islamisme

L’utilisation d’Internet en Tunisie, comme en Chine ou en Iran, permet à ceux qui contestent le régime du président Ben Ali de diffuser la vision qu’ils ont de leur pays, en même temps qu’ils véhiculent un message politique. L’Internet comble les attentes d’une jeunesse frustrée par une presse indigente et sous étroit contrôle.

Il est aussi l’expression, en termes de culture et de connaissances, d’une population qui s’affirme par la maîtrise d’outils et de technologies, que n’utilisent pas ou peu leurs aînés. Elle donne l’illusion d’une égalité et accentue la différence entre les générations. Dans une société traditionnelle, ce mode de communication est aussi l’expression d’une rupture avec ce qui est perçu comme archaïque et qui est incarné par les gouvernants en place.

La vie sociale des jeunes Tunisiens les a très tôt familiarisés avec Internet. Avec les émeutes de Sidi Bouzid, la Toile fait surgir de nouvelles possibilités de résistance.

Les forums ont joué, jusqu’à présent, une fonction de structuration politique à travers des échanges et le partage d’opinions dans un cadre sécurisé par la préservation de l’anonymat. Les utilisateurs de forums s’expriment, testent les éventuels modes d’action, imaginent ce que serait leur place sur la scène sociale.

Un autre des grands outils de diffusion est la messagerie instantanée : l’envoi de courts messages, d’images ou de petits films permet à un petit groupe de maintenir un contact étroit et de s’informer des évolutions du mouvement en cours.

Cette veille permanente oblige à une solidarité sans faille ; couper le contact ou ne pas répondre à un message vous exclut de facto du groupe. Elle crée de nouvelles formes de solidarités collectives. Cette instantanéité permet surtout de garder un temps d’avance sur la police, et de diffuser au moment le plus propice les lieux de rendez-vous ou de rassemblement.

Apprentissage politique

D’autre part, les sites ou blogs de rappeurs comme El General (allusion au général Ben Ali), l’Imbattable ou MC Bilal ont une fonction de divulgation à grande échelle de la situation actuelle en Tunisie.

Les internautes-contestataires s’identifient à ces jeunes musiciens en phase avec leur génération et dont le vecteur, la musique rap, parle fort, parle cru pour dire le malaise et le désespoir.

Pour avoir préféré la propagande au dialogue, le régime tunisien est dans une impasse, et ce sont les chômeurs diplômés qui utilisent les autoroutes de l’information. L’objectif principal de ces nouveaux médiateurs, qui échappent aux structures politiques traditionnelles, est de faire partager des informations dont ils sont les détenteurs. Le fait notable ici est que l’on n’est pas dans un militantisme virtuel, on prend un risque en participant à des chats ou en animant un blog. La police du Net veille et les dangers sont bien réels.

Si la contestation se concentre sur la critique sociale du régime politique qu’ils subissent, les jeunes Tunisiens n’ont pas encore pensé ou organisé un mouvement idéologique qui pourrait incarner une alternative crédible. Tout l’enjeu sera de renforcer le crédit qu’ils ont acquis et de jeter des ponts avec toutes les organisations syndicales, associatives ou politiques qui accepteraient d’élaborer un projet de société commun.

Une fois encore, on constate que les appareils d’Etat ont été incapables de comprendre leur société, ou d’appréhender les profondes mutations sociales liées à la mondialisation. L’espoir réside dans cette idée que la mobilisation actuelle innove par les formes qu’elle recouvre, et accélère l’apprentissage politique de toute une génération.