Quatre évènements récents viennent de mettre en lumière les énormes difficultés de l’Otan en Afghanistan. Tout d’abord, l’assassinat de huit civils occidentaux, membres d’une association humanitaire médicale présente depuis plus de trente ans dans le pays. Qu’il ait été perpétré par les talibans ou soit un acte de banditisme, il envoie un message d’insécurité pour tous les Occidentaux dans le pays, destiné à les faire partir.
Deuxièmement, le départ du contingent néerlandais – l’un des plus fidèles alliés des Etats-Unis – pourrait ouvrir un débat sur la nécessité d’être présent militairement en Afghanistan dans d’autres pays de l’Otan et, de fait, fragilise celle-ci. Troisièmement, les doutes de plus en plus nombreux sur la stratégie suivie, émis en public par des gens ayant eu des responsabilités et venant de quitter leur fonction, à l’image de Peter Galbraith, ancien numéro deux de l’ONU a Kaboul, prouvent que ceux qui ont une connaissance de l’intérieur de la situation sont très pessimistes.
Enfin, les fuites de documents du Pentagone via le site Internet Wikileaks tendent à montrer que les responsables américains ne croient pas eux-mêmes à leurs discours sur la victoire militaire et vont venir affaiblir leur crédibilité aux yeux du public. A part les officiels, et encore, quand ils s’expriment en public (en privé, c’est différent), plus personne ne semble vouloir croire que cette guerre puisse être gagnée. La bataille du coeur et des esprits, la volonté de reconquérir l’opinion, lancée par l’état-major américain, a tourné court. La présence militaire étrangère est du plus en plus ressentie comme illégitime et oppressante, ce qui a pour résultat de redonner une popularité aux talibans, y compris chez les Afghans qui n’avaient pas de sympathie particulière pour ce mouvement, mais qui préfèrent un mouvement répressif national à une armée étrangère vécue comme d’occupation.
La faiblesse du régime Karzaï ajoute au chaos. II est rejeté par une grande majorité des Afghans pour son incompétence et sa corruption. Alors qu’on lui reproche d’être une marionnette des Américains (les élections contestées ne lui ayant pas donné de légitimité nationale), Washington ne lui fait pas plus confiance, mais, n’ayant pas d’autre solution à proposer, lui maintient son soutien.
Pour le moment, les Occidentaux refusent d’envisager un retrait qui apparaîtrait comme une défaite et manifesterait la perte de crédibilité de l’Otan. A marteler que l’avenir de la sécurité du monde et de la lutte contre le terrorisme se joue en Afghanistan, les Occidentaux ont réduit leur marge de manoeuvre. En même temps, Obama s’est engagé à commencer ce retrait en 2011, un an avant l’élection présidentielle.
L’idée est de transférer la poursuite de la guerre à une armée afghane formée par les Occidentaux. Mais, du fait de la gabegie de Karzaï, personne n’est sûr de la crédibilité de ce scénario. La guerre est de plus en plus impopulaire aux Etats-Unis, et c’est devenu une faiblesse pour Barack Obama, à la fois dans la perspective des élections de mi-mandat de novembre prochain, et plus encore pour sa propre réélection en 2012. Le débat sur la pertinence de cette guerre et des énormes moyens qui sont engagés par rapport aux résultats obtenus commence à s’ouvrir dans les pays occidentaux. On peut se demander si d’autres pays vont suivre l’exemple des Pays-Bas. On dit vouloir y combattre le terrorisme, mais Al-Qaïda est maintenant peu présent en Afghanistan et se situe plus au Yémen, au Sahel ou dans les zones tribales pakistanaises. L’Etat afghan n’est pas reconstruit. Il est même devenu un Etat narcotrafiquant et est l’un des plus corrompus au monde. Les femmes n’ont pas les libertés au nom desquelles on dit se battre.
Les Occidentaux refusent d’envisager un retrait qui apparaîtrait comme une défaite et manifesterait la perte de crédibilité de l’Otan.
Pourquoi est-on alors en Afghanistan? Pour faire du « nation building », pour lutter contre le terrorisme ou pour assurer la libération des femmes (argument des Soviétiques à une époque). Ces objectifs sont-ils ou non conjointement et militairement réalisables? Les impératifs moraux mis en avant ne devraient pas faire l’économie d’une véritable réflexion stratégique, car le prix à payer peut s’avérer très lourd, moralement et stratégiquement.
Obama a raison de dire que Bush a fait une erreur monumentale en délaissant le front afghan pour la guerre d’lrak, fin 2002. Mais on ne peut appuyer sur le bouton « reset» et revenir à la situation prévalant à cette époque. Réduire dès maintenant notre présence militaire autour de Kaboul, tout en effectuant une réelle pression sur Karzaï pour qu’il change sa gouvernance et comprenne qu’il dépend plus des Occidentaux que l’inverse, n’est pas la meilleure solution, mais semble la moins mauvaise