Il est certain que le corps de l’opposition ne peut pas parvenir à maturité dans des délais très rapides. Il lui faut un temps minimum pour s’adapter à la situation nouvelle que vit la Tunisie. D’ailleurs, il est sage et prudent que les élections ne se soient pas organisées immédiatement afin que les partis qui étaient interdits ou que ceux qui avaient peu d’espace d’expression puissent s’organiser et faire campagne. Malgré quelques heurts et quelques scènes de pillage relativement limitées, la situation est, pour le moment, relativement sous contrôle en Tunisie.
Le défi, c’est que le gouvernement de transition prépare les élections dans des conditions satisfaisantes. C’est, me semble-t-il, à cette condition que les Tunisiens entreront dans une nouvelle ère.
Il n’y aura pas un retour en arrière. Le peuple tunisien a maintenant acquis des droits. Il n’admettra pas un retour, sous une forme ou sous une autre, de Ben Ali. Cela est une hypothèse qui est à exclure. Ben Ali peut toutefois conserver un certain pouvoir de nuisance. Certains de ses partisans ont été tentés de semer le chaos afin de créer un sentiment de regret par rapport à l’ordre, excessif par ailleurs, qui régnait sous Ben Ali. Si, par contre, ils trouvent refuge en Libye, qui est très proche, là ils pourraient éventuellement être dangereux. Mais si cela devait avoir lieu, leur impact serait néanmoins limité car les Tunisiens veulent réellement tourner la page et s’emploient pour y parvenir dans les faits.
On peut comprendre pourquoi El Gueddafi a agi de la sorte. Un pouvoir autoritaire a été renversé par la volonté populaire de l’autre côté de sa frontière. Ceci dit, la société civile, en Libye, est nettement moins développée qu’en Tunisie. La comparaison s’arrête là. Au-delà, si El Gueddafi avait eu la possibilité de peser sur les affaires tunisiennes, il l’aurait probablement fait. Quoi qu’il en soit, son action sur la Tunisie est quasi nulle. Il est dos au mur. Et s’il tente de faire quelque chose par rapport à la Tunisie, cela aurait certainement un effet repoussoir immédiat à la fois pour des motifs de patriotisme et pour des motifs de démocratie.
Il n’y aura pas d’effet domino au sens où on l’entend habituellement. C’est-à-dire s’attendre à ce que la chute d’un régime soit suivie de l’effondrement d’autres régimes, comme cela s’est produit à la fin de l’année 1989 en Europe de l’Est. Ce n’est pas quelque chose de comparable. Les régimes arabes ne vont pas tomber rapidement les uns après les autres après ce qui s’est passé en Tunisie. En réalité, il n’y a pas d’effet domino. Ce qui s’est produit en Tunisie a plutôt provoqué une onde de choc. C’est un signal très fort qui vient de leur être envoyé. Par ailleurs, il y a lieu de comprendre que la situation est différente d’un Etat à un autre. Nous ne pouvons pas comparer les situations dans les pays du Maghreb. Cela ne peut pas être fait également entre les pays du Maghreb et du Machreq. L’onde de choc a été ressentie et a été diluée. Tout dépendra maintenant de la manière avec laquelle chaque pays interprétera cette onde de choc venue de Tunisie et répondra à la demande de ses citoyens. Dans ce contexte, il serait intéressant de savoir quelles seront les solutions que les pays adopteront au niveau national.
Cela s’explique par le fait que certains responsables français ont voulu entretenir des relations autonomes et sauvegarder des liens avec un régime qui était bien connu de tout le monde. L’argument selon lequel le régime de Ben Ali tenait lieu de rempart contre l’islamisme a certainement joué même si celui-ci (l’argument, ndlr) était en très grande partie fallacieux.