Ils avaient annoncé des représailles pour venger la mort d’Oussama Ben Laden. Vendredi 13 mai, les talibans ont mis leurs menaces à exécution en commettant un double attentat qui a tué au moins 80 jeunes recrues de la police, dans le nord-ouest du Pakistan. S’il est probable qu’ils organisent d’autres attaques dans les prochains mois, les groupes terroristes pakistanais devraient néanmoins se révéler affaiblis, à long terme, par la mort du chef d’Al-Qaida, qu’ils considéraient comme leur guide, estime Karim Pakzad, chercheur spécialiste du Pakistan et de l’Afghanistan à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Ce double attentat est le fait des Tehreek-e-Taliban, [Mouvement des Talibans du Pakistan, TTP], l’une des principales organisations de talibans pakistanais. Ce groupe compte 30 000 à 35 000 combattants, la plupart, des Pachtounes issus des zones tribales semi-autonomes du nord-ouest du pays. L’islam radical y constitue, depuis des générations, une source de ralliement contre les étrangers.
Au départ, ces activistes appartenaient à une nuée d’organisations islamistes radicales pakistanaises qui voulaient instaurer un gouvernement islamiste au Pakistan. Ils étaient tolérés, voire soutenus sporadiquement par le gouvernement pakistanais, alors en conflit avec l’Inde. Mais après les attentats du 11 septembre 2001, pressé par les Etats-Unis et leur volonté de riposte, Islamabad a interdit ces organisations. Les militants pakistanais ont alors gagné les zones tribales limitrophes de l’Afghanistan. Là, ils ont rencontré les activistes d’Al-Qaida qui s’y étaient repliés après le renversement du régime des talibans en Afghanistan. Les liens qu’ils ont noués ont donné naissance à un mouvement taliban pakistanais, actif et radicalisé, en 2005.
Les talibans pakistanais ont été influencés par l’idéologie et les méthodes d’action d’Al-Qaida. Ils entretiennent des liens étroits avec l’organisation terroriste. Ils lui ont d’ailleurs prêté allégeance en 2007, car ils avaient besoin de ses activistes dans leur lutte contre les autorités et l’armée pakistanaises, alliées des Américains. Depuis 2005, ils ont quelque peu élargi leurs objectifs, vers une prise de pouvoir au Pakistan pour transformer le pays en un régime islamiste mais aussi une base arrière d’Al-Qaida.
Al-Qaida s’est donc renforcé au Pakistan en même temps qu’il perdait de l’influence en Afghanistan. Plusieurs années avant la mort de Ben Laden, les talibans afghans s’étaient en effet éloignés de l’organisation en raison de divergences d’objectifs. L’insurrection talibane en Afghanistan n’a ainsi jamais eu de vocation djihadiste. C’est un mouvement nationaliste, simplement préoccupé par la reconquête du pouvoir à Kaboul.
A court terme, la mort de Ben Laden va entraîner des actions de représailles, comme l’avaient promis les talibans. Ils ont décidé de venger le fondateur d’Al-Qaida et vont continuer à le faire pendant quelques temps.
Mais ces attentats ne pourront pas perdurer car à moyen et long termes, la disparition du chef d’Al-Qaida va les affaiblir. L’attachement des activistes extrémistes du TTP à la personne-même de Ben Laden était en effet primordial. Ils perdent un point d’identification, un label et une autorité d’autant plus importants qu’ils mènent une lutte d’influence fratricide au sein de la mouvance hétérogène que constituent les talibans pakistanais.
Le TTP lutte en effet contre le gouvernement et l’armée pakistanais, mais aussi contre d’autres groupes talibans et chefs tribaux, alliés et protégés par le gouvernement. La désorganisation et la perte de légitimité du TTP, provoquées par la disparition de Ben Laden, vont donc entraîner une montée en puissance des autres organisations, moins radicales, d’autant qu’elles ont les faveurs de l’Etat pakistanais, qui les arme et les finance.