La France a fait l’objet d’un espionnage relativement intense de la part de la Chine. Sciences-Po a été ciblé en particulier ainsi que plusieurs chercheurs spécialisés sur la question chinoise. Quelles sont les données que la Chine espère récupérer quand elle nous espionne ? Qu’est-ce qu’elle cherche précisément ?

La Chine traque notamment toutes les données politiques qui lui permettent d’orienter sa propre politique étrangère et de savoir quelles sont les relations entre les différents pays, notamment sur le cas de la guerre en Ukraine par exemple. La Chine est très intéressée par les pays européens, par leurs objectifs et par leurs rapports avec les Etats-Unis. Cela s’inscrit dans une stratégie du renseignement. L’espionnage et le renseignement sont beaucoup confondus. L’espionnage concerne bien le vol des données. Le renseignement consiste à utiliser des données qui sont en accès libre.

La Chine est très intéressée par tout ce qui touche à la technologie et à l’économie. Ces thématiques sont très importantes pour la Chine.

Pékin cible des chercheurs spécialisés sur la question chinoise pour avoir une meilleure idée de ce que la France en tant que nation pense de la Chine, ce qu’elle prévoit de faire en matière de de politique économique ou internationale.

 

Jean-Louis Rocca, professeur spécialiste de la Chine, aurait notamment été ciblé…

Jean-Louis Rocca est un spécialiste de la sociologie. Les autorités chinoises ont sans doute lu ses publications et ont sans doute tenté de savoir quelles étaient ses relations, notamment avec des instances dirigeantes.

 

Sciences-Po aurait été espionné pendant dix ans, d’avril 2011 à avril 2021. Des données stratégiques auraient été recueillies. Que pourraient contenir les données et les ressources qui intéressent tant la Chine en France ?

Sciences-Po ne produit pas de documents confidentiels et n’a pas accès en tant que tel à des documents confidentiels.

Les données les plus confidentielles concernent tout ce qui est technologique et notamment le fonctionnement interne ainsi que le développement économique de certaines entreprises. Sur le plan technologique, il y a eu des affaires connues, comme l’affaire Valeo par exemple.

Un certain nombre d’entreprises françaises sont aussi complices de la Chine. C’est de moins en moins vrai, mais cela a longtemps été le cas notamment afin de pouvoir autoriser l’implantation d’une entreprise française en Chine. Elle exigeait une symétrie des laboratoires de recherche. Cela voulait dire que l’on transmettait à la Chine toutes nos recherches effectuées en dehors de Chine. Des entreprises comme EDF, Peugeot ont cédé face à la Chine dans ce domaine. Ces sociétés espéraient faire d’énormes bénéfices sur le gigantesque marché chinois.

Cela s’apparenterait-il à un espionnage à des fins de guerre économique ?

Effectivement, cela s’inscrit dans le cadre de la guerre économique pour avoir des résultats de laboratoires de recherche et pour leur propre technologie, sur le plan civil et militaire.

 

Sur le plan militaire, des fuites ont-elles permis de savoir ce qui avait pu être capté ?

Effectivement, cela concerne notamment les missiles Crotales qui ont été vendus au Pakistan. Les Chinois ont fabriqué de faux Crotales. Il y a eu des dépassements d’accords de licence sur des hélicoptères comme le Dauphin. Les frégates Lafayette ont été vendues à Taïwan. Mais tout laisse à penser que pour calmer les Chinois, toutes les informations sur ces frégates ont été transmises à Pékin. Cela leur a permis de construire les frégates Type 054 qui sont très similaires aux frégates Lafayette. Il existe donc une complicité d’un certain nombre d’industries françaises, dans le cadre de tentative d’amélioration politique et diplomatique avec la Chine.

Est-ce que la France, en tant que nation et dans ses instances politiques, a été en mesure d’identifier la menace que représente la Chine en termes d’espionnage ? La France a-t-elle pris la mesure de la situation ?

Cela souligne le problème du renseignement dans les pays occidentaux en particulier, alors qu’il y a des analystes qui sont de bonne qualité, qui fournissent de bonnes informations et de bonnes mises en garde. Les dirigeants sont entourés de conseillers qui rejettent certaines analyses et qui fournissent leur propre diagnostic. C’est comme cela que la guerre en Irak a été déclenchée. Les cabinets ne tiennent pas compte du travail de base des vrais professionnels sur la menace réelle de l’espionnage et du piratage.

 

Nos instances politiques n’ont pas forcément pris la mesure du problème mais cela ne veut pas dire que nos analystes ne l’avaient pas vu ?

Certains chercheurs, dont je fais partie, ont tenté d’alerter et de mettre en garde les autorités face à ce risque. Mais nous savions malheureusement que nos conseils et que nos alertes ne seraient pas pris en compte ou entendus.

Sur ce qui relève de l’espionnage plus poussé, sur le plan militaire, y-a-t il des dangers plus importants compte tenu de la situation actuelle ?

Sur le plan militaire, la France n’est pas directement confrontée à la Chine même si les Etats-Unis essaient d’impliquer tout le monde dans cette rivalité. Pour le moment, il n’y a pas de risques directs. Beaucoup des progrès militaires faits par la Chine ont été rendus possibles grâce à de l’espionnage ou à des dépassements d’accords de licence, grâce à des manœuvres illégales. Une partie de l’armée chinoise est équipée grâce à des entreprises françaises et à des manœuvres illégales à travers des petits cadeaux faits par les entreprises françaises. La plupart des hélicoptères chinois militaires sont équipés de moteurs d’origine française, en violation complète des sanctions qui ont été décidées.

De quoi la France dispose-t-elle pour limiter cet espionnage ? Comment est-ce que l’on tente de s’en protéger ?

Il faut d’abord rendre responsables les dirigeants d’entreprises et les politiques face à cette situation. Pour les dirigeants d’entreprise, il s’agit d’un problème d’avidité.

Pour les politiques, cela concerne un problème d’angélisme et de vouloir être reconnu.

 

À l’échelon institutionnel, y a-t-il des protections qui ont déjà été mises en place ou pas du tout ?

Au niveau institutionnel, il y a bien des protections mais encore faut-il les mettre en service. Il est toujours difficile d’expulser des gens qui ne sont vraiment pas des diplomates ou d’expulser des gens qui sont les représentants permanents de l’agence Chine nouvelle ou d’autres institutions semi étatiques chinoises ou purement étatiques  qui violent allègrement la légalité en France sans aucun problème.