Les évènements au Proche-Orient ont fait passer la guerre en Ukraine au second plan médiatique. La mobilisation émotionnelle en faveur des Ukrainiens s’en est trouvée amoindrie et avec elle la nécessité de les aider.
Par ailleurs, l’échec de la contre-offensive ukrainienne et «l’impasse» dans laquelle se trouvent les cobelligérants marque un tournant. Poutine n’a plus eu de succès depuis longtemps, mais il se délecte de l’insuccès de l’Ukraine. Le temps joue à son profit et sa machine de guerre tourne à plein régime, nourrie par les recettes obtenues en contournant les sanctions, grâce en particulier à des pays comme la Turquie pourtant supposés faire partie de l’Alliance atlantique.
Le fait est que nous sommes entrés de plain-pied dans une guerre longue qui, sauf surprise stratégique, ne trouvera pas d’issue avant plusieurs années. C’est une guerre d’attrition, où la stratégie joue un rôle moins important que les masses de soldats mobilisables, les équipements et les munitions disponibles ainsi que la capacité industrielle de les produire. Si les Occidentaux ne donnent pas – de façon urgente – les moyens à l’Ukraine de compenser qualitativement leur désavantage quantitatif, alors la Russie avancera à nouveau. Sans sa fronde, David n’a aucune chance face à Goliath.
À ce stade rien ne sert d’appeler à des négociations ; car si négociations il y a, elles ne peuvent être conclues que par les belligérants. Or, ni Vladimir Poutine, ni Volodymyr Zelensky n’en veulent car tous deux espèrent encore gagner par les armes sur le champ de bataille. En supposant que les Occidentaux forcent Zelensky à négocier cela signerait la capitulation de l’Ukraine et la victoire d’un régime criminel, dictatorial et génocidaire. Est-ce vraiment cela que nous voulons ? D’autant que si la guerre s’arrêtait aujourd’hui, la Russie, tel un boa constrictor qui prend le temps de digérer sa proie, en profiterait pour se réarmer et mieux attaquer dans quelques années. De son propre aveu, Poutine n’a renoncé ni à Kiev, ni à Odessa ni à la Moldavie.
Deuxième élément à prendre en compte : la mauvaise santé de nos démocraties et plus particulièrement de la démocratie américaine. Désormais, la victoire de Donald Trump aux élections de novembre 2024 semble non seulement possible, mais probable. Or ce dernier a fait part de ses plans au monde entier : fin de l’aide à l’Ukraine, redéfinition du rôle de l’OTAN (ou à défaut retrait américain de l’Alliance), mesures protectionnistes massives. Les Européens se retrouveraient donc seuls à aider l’Ukraine. Le peuvent-ils ? Le souhaitent-ils, comme ils viennent de le réaffirmer, la main sur le cœur au dernier sommet de l’Otan. Et si oui, que font-ils pour s’y préparer ? La réponse tient en un mot : rien, ou bien peu de choses. Le géant économique européen tremble devant le nain russe et détourne ses vingt-sept paires d’yeux ailleurs.
Mais tâchons de nous poser la question avec le recul qui s’impose : pourquoi devrions-nous tout mettre en œuvre pour aider l’Ukraine ? Serait-ce si grave si l’Ukraine tombait ?
La première raison qui vient à l’esprit est la mise à bas de tout l’édifice du droit international. Si un État peut envahir impunément son voisin le plus proche et déclarer siens les territoires dont il s’est emparé, alors c’est la Charte des nations unies et avec elle les principes de souveraineté, d’intangibilité des frontières et du règlement pacifique des conflits qui disparaissent. Vladimir Poutine se nourrit du chaos. Il le provoque, le répand et en saisit toutes les opportunités. Or dans un monde où les règles ne sont plus respectées, la force fait la loi et tout différend devient conflit. Quel sera le prochain ?
La deuxième raison est d’ordre moral. Comment reprendre les affaires avec un État dont le dirigeant est un menteur invétéré doublé d’un mythomane cynique, qui n’a aucun respect pour la vie humaine et qui a enfermé son peuple dans une prison mentale quand ce n’est pas derrière des barreaux d’acier ? Le peuple russe est zombifié. Il suit Poutine comme les enfants d’Hamelin suivaient le joueur de flûte, enivré qu’il est par l’illusion d’un «empire» fantasmé dans lequel seraient chaque jour célébrées les noces sanglantes de la guerre et du mensonge patriotique. Quelles sont les valeurs communes de notre Europe avec cette barbarie révisionniste et réactionnaire ? Aucune. Quelles sont les valeurs communes de notre Europe avec l’Ukraine ? La liberté, pour commencer.
La troisième raison tient à la défense de nos intérêts. Nous n’avions pas pris conscience que nous étions en guerre avec la Russie, mais la Russie nous avait déclaré la guerre depuis longtemps, une guerre hybride certes, mais une guerre tout de même. Ses dirigeants se sont efforcés de modifier le résultat de nos élections, ont corrompu certains de nos décideurs, se sont ingérés sournoisement dans nos vies publiques et ont séduit des idiots utiles par troupeaux entiers. Depuis 2004, Vladimir Poutine s’est efforcé de diviser les Européens en flattant certains, en achetant d’autres et surtout en nous rendant accrocs à ses matières premières : pétrole et gaz en particulier. Et plus récemment, il a entrepris avec le succès que l’on sait de bouter la France hors d’Afrique. Personne n’aurait cru cela possible. Et pourtant il l’a fait. Il nous a attaqués sur tous les fronts : politique, social, économique et international. Et nous nous sommes laissés faire.
Nous continuons à nous payer de mots, comme l’annonce du passage de l’économie française en «économie de guerre». Quelle blague ! Cela est d’autant plus ridicule que comme le montre l’exemple américain, tout l’argent dépensé dans l’aide militaire à l’Ukraine bénéficie principalement à l’industrie américaine. Qu’attendons-nous pour en faire de même, au lieu de freiner les initiatives de la Commission européenne pour que les États membres achètent et produisent des armes en commun ?
La réponse est donc simple : oui cette guerre est aussi notre guerre. Nous ne pouvons donc rester les bras ballants en attendant que l’Ukraine s’effondre car sa défaite serait aussi notre défaite. Si nous ne le faisons pas pour nos valeurs, faisons-le au moins pour nos intérêts. Avant qu’il ne soit trop tard.
Publié par FigaroVox