Le nombre de personnes quittant la Chine et cherchant à faire (ou investir) leur fortune à l’étranger est à nouveau en hausse, selon les données de la Division de la population de l’ONU. Que sait-on de cette diaspora chinoise ? Comment expliquer leur souhait de quitter la Chine ? (quel est leur profil et où vont-ils ?)
Emmanuel Lincot : Nombre d’entre eux travaillent dans le domaine des hautes technologies, de la finance, et sont pour beaucoup originaires de Hong Kong. Ils se replient à Singapour ou dans des pays occidentaux, plus attractifs, plus intéressants d’un point de vue de la préservation de leurs acquis. Cette hémorragie est importante mais seul l’avenir nous dira s’il s’agit d’une diaspora ou de ressortissants, c’est-à-dire des gens ayant vocation à quitter définitivement leur pays ou à séjourner quelques années seulement à l’étranger. Une chose est certaine : ces personnes, représentant une très haute valeur ajoutée, révèlent la crainte d’être un jour mises à pas par le régime communiste chinois. Le syndrome de l’arrestation de Jack Ma reste dans toutes les têtes. Quelque part, cette hémorragie suit la trajectoire de celle des Russes, depuis que la guerre a été déclarée par Moscou contre Kiev.
Dans un contexte de guerre commerciale avec les États-Unis, dans quelle mesure cette population représente-t-elle une opportunité pour les pays occidentaux ?
Cette opportunité est réelle même si elle se situe à un niveau historique très différent de celui que des savants juifs de l’Europe centrale persécutés ont pu éprouver en trouvant refuge aux États-Unis. Le nerf de la guerre reste l’argent. Si les Occidentaux veulent retenir ces gens compétents, il faut s’en donner les moyens. La défense des valeurs ne dure qu’un temps. Il faut une stratégie de long terme pour les retenir. La France, pour ne citer qu’un exemple, après l’opération Yellow bird, qui eut lieu en 1989 après les massacres de Tiananmen en exfiltrant depuis Hong Kong plusieurs centaines de savants chinois considérés comme dissidents n’a pas su exploiter ce potentiel de situation. Aucun centre de recherche, de laboratoire ou d’université n’a su les retenir. Tout simplement parce que les Américains ont été plus attractifs.
Par quels moyens pourrait-on attirer cette population qualifiée ?
Par l’argent et la garantie, dans les situations les plus extrêmes, de leur donner une assurance-vie. Vous quittez la Chine parce que vous craignez pour vos intérêts voire pour votre vie : nous vous offrons des conditions de plein épanouissement scientifique, nous garantissons la protection de votre famille, de vos enfants. Mais le deal c’est que vous travaillez pour nous et vous nous renseignez en retour sur les activités scientifiques menées par la Chine. L’adhésion à des valeurs de démocratie, de liberté est beaucoup plus marginale qu’on ne le croit surtout pour la jeune génération qui n’a pas connu Tiananmen.
Pékin pourrait-elle également perdre de sa puissance face à cette fuite des cerveaux ?
Ce qui joue en faveur de Pékin, c’est le poids du nombre. Le régime peut se voir assurer d’une relève quasi continue de scientifiques, de gens talentueux dans tous les domaines. Et Pékin a depuis des années proposé des ponts d’or à des scientifiques étrangers. L’argent fait encore une fois la différence. Et que l’on nous ne dise pas qu’une dictature n’offre aucun avenir à ses scientifiques car privés de liberté ils n’auraient plus aucune créativité. L’histoire nous démontre le contraire. Nombre de très grands scientifiques allemands ont continué à innover pour le régime nazi. De même pour le régime stalinien soit par conviction profonde soit par opportunisme. Soit les deux et je peux vous assurer que nombre de scientifiques chinois de haut vol partagent à 100 % l’idéologie du régime fondée sur l’hypernationalisme et le revanchisme face à l’Occident ou au Japon.
Publié par Atlantico.