Récemment [1] réunis dans le cadre idyllique des Maldives le temps de l’éphémère sommet annuel de l’Association Sud-Asiatique pour la Coopération Régionale (SAARC [2]), les Premiers ministres indien et pakistanais se sont volontiers prêtés, côte à côte, sourire aux lèvres et main dans la main, à un exercice réussi de communication : « Par le passé, nous avons perdu beaucoup de temps dans des débats acrimonieux. Le moment est venu d’écrire un nouveau chapitre de l’histoire de nos relations » suggéra le vénérable chef de gouvernement indien Manmohan Singh. Sur une note très similaire, son homologue pakistanais Youssouf Raza Gilani confirma que la prochaine session du dialogue bilatéral indo-pakistanais devrait être « plus constructive, plus positive, et ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire des deux pays ». Dans le contexte de désaccord, de rivalité, de méfiance et de tension permanente structurant les rapports entre ces deux anciens dominions que quatre conflits [3] – en l’espace d’à peine un demi-siècle – déchirèrent plus avant, on ne saurait se montrer plus en phase. Un moment rare, bienvenu, qu’il s’agit naturellement de saluer. Assiste-t-on pour autant à un tournant historique, majeur, capable de lancer – enfin – New Delhi et Islamabad sur une matrice de coopération, d’extraire ces deux capitales – distantes d’à peine 700 km – de leur sempiternelle logique de confrontation ? Après 64 années de relations alternant entre le passable et le critique, c’est naturellement tout le mal que l’on souhaite à ces deux voisins nucléaires partageant – fébrilement – 3000 km de frontières – et plus d’amertume, de suspicion à l’égard de l’autre que d’admiration. Pourtant, malgré l’allant visible entretenu ces derniers mois de part et d’autre, la « partie » semble loin d’être gagnée. L’occasion ci-après, autour d’une poignée de questions-réponses, d’aborder brièvement le sujet.
On ne saurait prêter de la légèreté aux propos des chefs de gouvernement indien et pakistanais qui, tout éblouis fussent-ils alors par le cadre romantique de leur dernière rencontre [4], ont naturellement pesé le poids de leurs mots. Le fait que la phraséologie de M. Singh et de Y.R. Gilani soit – pour une fois – des plus proches, presque un copié-collé, atteste d’une démarche volontaire commune et réfléchie. Par ailleurs, au Pakistan comme en Inde, la question de la qualité des rapports qu’il s’agit d’entretenir avec le voisin est un sujet particulièrement sensible, qui, dans ces 6eme et 2eme pays les plus peuplés au monde, parle à tout un chacun ou presque. En direction de l’orage ou vers l’éclaircie, on ne peut s’aventurer sur cette thématique fébrile, au pays de Gandhi (Inde) comme de Jinnah [5] (Pakistan), sans avoir dûment pesé le pour et le contre. Enfin, l’un comme l’autre actuellement malmenés dans leurs fonctions et autorité – pour des motifs [6] différents, et bien davantage Y.R. Gilani que M. Singh… -, ces derniers ne sont pas à proprement parler idéalement placés pour engager la nation d’une manière cavalière ; une situation qui aurait tôt fait de se retourner fatalement contre eux [7].
Notons encore que dans un passé récent, messieurs Singh et Gilani s’étaient déjà exprimés en faveur d’une reprise souhaitable – et durable – du dialogue indo-pakistanais et que l’un comme l’autre apparaissent sans l’ombre d’un doute comme des « hommes de paix », éventuellement soucieux, à titre personnel, d’apparaître comme tel dans l’histoire agitée de leur pays respectif.
En Inde, il ne s’agit pas de l’effort ou de l’espoir d’un seul homme ; une bonne partie de l’administration Singh soutient l’orientation de son emblématique porte-drapeau. Les milieux d’affaires, les élites urbaines, la société civile (à tout le moins en partie, pour chaque acteur considéré), sont globalement favorables à ce geste d’apaisement. Pourvu qu’il ne soit pas trop audacieux ou perçu comme un signe de générosité ou de faiblesse à l’endroit d’un voisin encore nettement honni. La blessure du « 11 septembre indien [8] » – les attentats de Mumbai (Bombay) il y a tout juste 3 ans – est encore là, présente, douloureuse et le pardon non accordé.
Au Pakistan, cette phase plus apaisée des derniers mois apparait pour l’heure essentiellement le fait des autorités civiles, du Président – sans plus guère de prérogatives politiques – A.A. Zardari et de son Premier ministre, au prestige interne lui aussi discuté. La puissante et influente hiérarchie militaire, par nature « indo-sceptique » voire volontiers « indophobe », s’est nettement moins exprimée sur le sujet…, critiquant dernièrement plus vertement le « partenariat stratégique » paraphé, en octobre, par New Delhi et Kaboul.
Au niveau international, dans son inconfortable position « d’allié stratégique » des deux pays à la fois, Washington s’est félicitée à plusieurs reprises (le 10 novembre notamment) des diverses réunions bilatérales tenues depuis l’été : rencontre des Secretaries (Secrétaires d’Etat) au commerce à New Delhi le 14 novembre ; réunion des ministres des Affaires étrangères indien – S.M. Krishna – et pakistanais – la jeune et gracieuse Madame Rabbani Khar, le nouveau visage de la diplomatie pakistanaise [9], à Delhi en juillet.
Dès lors que l’on aborde l’instable équation indo-pakistanaise, il s’en trouve, de nombreux et de contrariant, dans les deux pays. Abordons en premier lieu le volatile cadre pakistanais, de loin le plus ténu. Au « pays des purs », toute entreprise de rapprochement ou de détente viable avec le voisin oriental doit soit émaner de l’omnipotente hiérarchie militaire (Chef des armées + conférence des commandants de corps + chef des services de renseignement), soit, à minima, bénéficier de son blanc-seing explicite ; dans le contexte actuel, cette nécessaire validation préalable demeure, tout particulièrement du fait de l’extrême fragilité du gouvernement civil, fusse-t-il issu du dernier scrutin législatif national [10]. Le moins que l’on puisse dire est que l’ombrageux général P. Kayani et les autres responsables de la Pakistan Army se sont ces derniers mois montrés plus actifs sur le contour des (complexes, délicates [11], incertaines) relations pakistano-américaines ou encore pakistano-afghanes que sur les dividendes d’une décrispation indo-pakistanaise. En réalité, on n’a mi-novembre 2011 guère le sentiment que cette dynamique positive soit portée par les hommes en uniforme ou qu’elle figure dans le cercle de ses priorités du moment. Sans surprendre.
Le soutien de l’opinion publique pakistanaise dans son ensemble reste également à prouver, même si la société civile, diverses personnalités ou anciens responsables militent avec énergie en faveur d’un renouveau apaisé des rapports avec la proche et lointaine Inde du 1er ministre Manmohan Singh.
Chez cette dernière, il serait exagéré de penser que l’on trouve 1,2 milliard d’individus impliqués dans cette dynamique de décrispation graduelle et saisis de frisson à l’idée d’un possible chapitre indo-pakistanais exempt de tension et de crise. Ici encore, l’initiative vient avant tout des autorités civiles et du gouvernement central, des milieux d’affaires [12], de la société civile et d’une partie de l’opinion publique ; pas de l’ensemble de la population, toujours très circonspecte sur l’opportunité de se rapprocher du Pakistan, 3 ans après la tragédie de Mumbai, une douzaine d’années à peine après la crise de Kargil, 4eme épisode des guerres indo-pakistanaises, et sur les intentions de la hiérarchie militaire à son endroit à court-moyen terme.
Sur la base des – multiples – précédents des dernières décennies où les « bonnes intentions » d’Islamabad vis-à-vis de l’Inde furent peu après emportées par un maelstrom de discours et d’actions moins romantiques sinon ouvertement hostiles [13], on ne saurait blâmer les citoyens indiens, les observateurs étrangers au fait de ces fréquents soubresauts, de leur compréhensible scepticisme.