• Marie-Cécile Naves

    Directrice de recherche à l’IRIS, directrice de l’Observatoire Genre et géopolitique

Le soutien de Joe Biden à Israël est ancien ; il est politique et personnel. Il serait même « viscéral », selon les mots de son secrétaire d’Etat, Antony Blinken. En tant que sénateur, puis vice-président, Joe Biden s’est rendu plus de dix fois en Israël et en a rencontré tous les Premiers ministres. Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de désaccords, parfois vifs, en particulier avec Benyamin Netanyahou, sur le processus de paix, la colonisation en Cisjordanie ou encore la réforme très contestée de la justice israélienne.

Et si le 7 octobre a marqué un tournant, si l’aide militaire et financière américaine à Israël est renforcée, Biden s’efforce aussi de convaincre Netanyahou à la fois de ne pas céder aux faucons de son gouvernement en lançant l’offensive terrestre dans Gaza avant que les otages ne soient libérés et en ouvrant un deuxième front dans le nord du pays contre le Hezbollah libanais, mais aussi d’avoir des objectifs clairs dans la guerre contre le Hamas. Biden lui a rappelé, sur ce point, les errements américains en Afghanistan et en Irak. Un embrasement du conflit dans la région n’est par ailleurs absolument pas dans l’intérêt de Washington.

A gauche, la jeunesse engagée demande des comptes à Biden

Mais pour l’aile gauche du Parti démocrate, le soutien de Biden à Israël, perçu comme inconditionnel, est aujourd’hui difficile à accepter. Une vingtaine de membres du Congrès exigent une trêve humanitaire à Gaza ; chez les jeunes notamment, des groupes militants, qui établissent un lien entre le sort de minorités ethniques discriminées et opprimées aux Etats-Unis (notamment depuis le meurtre de George Floyd) et la situation dramatique des civils palestiniens, s’ajoutent à ces voix très critiques à l’égard de la Maison-Blanche.

Antony Blinken prend le temps de les recevoir, de les écouter, et a rappelé deux points majeurs. Premièrement, en diplomatie, beaucoup se joue behind the scenes : indéniablement, Biden fait preuve de franchise et utilise un ton plus ferme quand il parle avec Netanyahou portes closes que dans ses allocutions devant la presse. Deuxièmement, le président s’inquiète désormais publiquement du sort des civils de Gaza et demande même à Israël d’en faire une « priorité ».

Ces inflexions suffiront-elles ? Les démocrates doivent-ils s’inquiéter d’une possible désaffection, en novembre 2024, de la jeunesse soucieuse des droits des Palestiniens ? Il est trop tôt pour le dire, mais la vigilance s’impose. D’un côté, ce ne sont des mouvements ni organisés, ni représentatifs ; de l’autre, des associations impliquées de longue date dans d’autres causes, à l’instar de Sunrise – engagée pour le climat –, commencent aussi à se mobiliser pour la paix au Proche-Orient.

Le spectre d’un remake de 2016 plane côté démocrate : une abstention significative, couplée à un vote en faveur d’un ou d’une troisième candidat ou candidate capable de se présenter dans quelques Etats fédérés décisifs. Cela pourrait suffire à faire pencher la balance en faveur de Donald Trump.

A droite, la course au « plus grand allié d’Israël »

Chez les conservateurs, on l’a bien compris et on souffle sur les braises pour galvaniser la base électorale la plus fervente. On ne résiste pas à faire l’amalgame entre soutien au peuple palestinien et soutien aux terroristes du Hamas. On fustige aussi une faiblesse supposée de Biden vis-à-vis de l’Iran, en faisant mine d’oublier que l’accord sur le nucléaire iranien a été rompu unilatéralement par Trump et qu’il sera long et difficile d’en conclure un nouveau. On raille, enfin, une incompétence de l’exécutif, alors que les très contestés accords d’Abraham, concoctés par Jared Kushner, gendre de Trump et spécialiste auto-institué du Proche-Orient, ont enterré le sujet palestinien.

Après avoir qualifié de « très intelligent » le Hezbollah, le 11 octobre, Trump s’est attiré les critiques de ses concurrentes et concurrents à l’investiture républicaine. Il s’est repris en se définissant comme « le plus grand ami qu’Israël ait jamais eu ». La réunion annuelle de la Republican Jewish Coalition, le 28 octobre, a été pour Nikki Haley, Ron DeSantis et les autres le théâtre d’une compétition pour le titre, précisément, de meilleur allié d’Israël. En jeu, en particulier : le soutien des chrétiens évangéliques, très influents en Iowa où se tiendront les premiers caucus républicains en janvier 2024, qui ont une vision messianique, voire biblique, de la destinée d’Israël et ont voté Trump à 80 % en 2016 et 2020.

Mais dans la jeunesse républicaine, ce soutien inconditionnel à l’Etat hébreu est moins marqué que dans les générations précédentes. Le Parti républicain peut se réjouir des exigences de la nouvelle garde démocrate. Il doit aussi, sur ce sujet comme sur d’autres, se soucier de ce que ses jeunes électrices et électeurs attendent de lui dans une Amérique qui change, quoi qu’il en pense.