Des relations très étroites. Elles l’étaient en tout cas jusqu’à récemment, mais je pense cela va continuer, même si cela va s’avérer compliqué de maintenir un tel niveau de liaison et de coopération. Certains dirigeants du Hamas sont par exemple accueillis à Doha, le Qatar verse aussi chaque mois 30 millions de dollars à la bande de Gaza, sous le motif de payer les fonctionnaires… On sait bien que ceux-ci sont largement embauchés et rétribués par le Hamas. 30 millions de dollars par mois, ce n’est pas une petite somme. Il y a une proximité claire et nette entre le Qatar et le Hamas.
On sait par ailleurs que le Qatar a des relations régulières avec la mouvance des Frères musulmans, dont la matrice du Hamas est issue. Et même si ces dernières années, le Hamas faisait beaucoup moins référence à son appartenance à cette mouvance, leurs liens restent à mon sens historiques et solides.

Tout d’abord, il ne faut pas parler des Frères musulmans comme d’un mouvement unifié. Je préfère parler de mouvance. Une fois dit cela, le Qatar est proche des Frères depuis une dizaine d’années, à la différence de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis qui leur vouent une haine tenace. Pour le Qatar, il s’agit au contraire à l’origine d’une sympathie idéologique, doublée d’intérêts politiques. Lors des printemps arabes, en 2011-2012, le Qatar a ainsi soutenu les Frères musulmans dans la part qu’ils prenaient dans les différentes révoltes. Le Hamas faisait et fait partie de ce dispositif, et Doha maintient à son égard ses réseaux politiques et financiers.
Ce soutien a permis au Qatar de peaufiner ses réseaux politiques, même si les Frères musulmans, réprimés en Égypte, dépassés en Syrie, et écartés du pouvoir en Tunisie, sont en ce moment sur le recul, ce qui constitue autant de points d’appui perdus pour le Qatar dans la région.

Ces proximités n’empêchent-elles pas le Qatar d’entretenir des liens avec Israël ?

Au contraire. Israël a parfaitement compris son intérêt à coopérer avec le Qatar. De hauts responsables du renseignement israéliens sont d’ailleurs actuellement à Doha pour négocier sur la question des otages, car Israël cherche l’efficacité et que le Qatar est un interlocuteur efficace.
C’est d’ailleurs en raison de cette capacité de médiation qatarie qu’Israël a toujours entretenue des liens discrets avec Doha, même si leurs relations sont moins directes. Un bureau de représentation commerciale d’Israël a par exemple existé pendant un temps au Qatar, et s’il a été fermé, des liens se sont maintenus au niveau sécuritaire : des accords ont nécessairement été conclus pour qu’Israël n’élimine pas physiquement les dirigeants du Hamas qui vivent à Doha.
Par ces contacts réguliers entretenus avec le Hamas et Israël, le Qatar se retrouve donc dans une situation d’efficacité pour conduire une médiation. Il n’est pas le seul : les Égyptiens aussi sont en contact avec les deux parties, tout comme la Turquie, et probablement quelques autres pays. Mais dans le domaine de la médiation, le Qatar est probablement celui qui a le plus d’atouts et la meilleure connaissance des protagonistes.
Quelques otages ont par exemple été en effet relâchés, et je pense que le Qatar n’y est pas pour rien. Il n’est sans doute pas le seul sur qui on peut mettre le crédit de ces libérations, mais il joue un rôle incontestable.

Cela doit faire une quinzaine d’années que le Qatar a décidé de parler à tout le monde. Il est intervenu dans plusieurs dossiers. Au Liban, quand il y a eu des oppositions très fortes entre différentes factions libanaises ; en Afghanistan, lorsque les Talibans sont revenus, c’est à Doha que se sont déroulées les négociations avec les États-Unis… Cela montre un certain savoir-faire de la part des dirigeants qataris dans la négociation de crise. Ils entretiennent aussi des relations avec l’Iran, ce qui est rare parmi les États du Golfe, même si l’Arabie saoudite s’est réconciliée avec Téhéran sous l’égide des Chinois.

Il suffit de regarder une carte de géographie : le Qatar est un confetti, il est minuscule, et il faut bien qu’il existe. Ses dirigeants ont eu l’intelligence de choisir des domaines où ils ont fait leurs preuves, comme le sport – le PSG en est un bel exemple – et la médiation. Quand on est un tout petit État très riche, il faut trouver des créneaux d’excellence pour exister sur la scène internationale. Chacun reconnaît leur savoir-faire. Et s’ils essuient des critiques, ils restent indispensables. On peut leur reprocher d’avoir un double jeu, mais c’est leur faire un mauvais procès. La diplomatie, c’est pouvoir discuter avec tout le monde. Ils ne sont pas surpuissants pour autant, mais ils ont montré une véritable efficacité dans la médiation.

 

Propos recueillis par Lou Roméo pour Le Point.