C’est le deuxième volet des pourparlers, les premiers ont eu lieu il y a un mois à Copenhague. Quel est le message que cela envoie, que ces prochaines discussions se déroulent en Arabie saoudite ?
Cela montre avant tout que le prince héritier Mohammed ben Salman veut se présenter comme un comme un « honest broker », un honnête courtier, qui permet de réunir des protagonistes en conflit. Il veut se positionner comme un médiateur, un peu comme le président [turc Recep Tayyip] Erdogan.
Par ailleurs, c’est aussi une manière de montrer qu’il est sensible aux enjeux liés à la guerre en Ukraine, qui ont des conséquences également au Moyen-Orient, on l’a vu ces derniers mois, notamment en terme énergétique et alimentaire. Il faut rappeler qu’il avait d’ailleurs invité le 19 mai dernier lors d’un précédent sommet de Jeddah le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui à cette occasion avait stigmatisé les pays arabes qui étaient supposés fermer les yeux sur la situation en Ukraine. C’est donc une manière pour le prince héritier de montrer qu’il a entendu les doléances du président Zelensky et il se présente comme un intermédiaire justement susceptible de favoriser une sortie du conflit.
Est-ce que les liens étroits de Riyad avec Pékin ont aidé aussi à ce que le lieu choisi soit en Arabie saoudite ?
La question de la participation chinoise n’est pas définitivement établie, parce que, en réalité, les 5 et 6 août prochain à Jeddah, il y a une trentaine de pays. On pourrait les qualifier de « sud global » : il y aurait l’Indonésie, l’Égypte, le Mexique, le Chili et d’autres pays. L’idée, c’est de faire participer effectivement tous ces pays dits du « sud global », dont certains ont manifesté une prudence, sinon une neutralité suspecte aux yeux de [Volodymyr] Zelensky.
La question de la participation de la Chine serait déterminante, parce que les relations entre Riyad et Pékin sont aujourd’hui très importantes. Il se trouve que la Chine est le premier client pétrolier de l’Arabie saoudite et il faut rappeler d’ailleurs que, lors de la visite [du président chinois] Xi Jinping en décembre dernier, il y a eu la formalisation d’un partenariat stratégique. Donc Mohammed ben Salman peut se prévaloir de relations privilégiées avec Pékin et se montrer particulièrement investi dans la dynamique qu’il met en œuvre.
Une trentaine de pays seront présents à Jeddah, mais la Russie n’est pourtant pas conviée à ces discussions ?
Non, elle n’est pas conviée, et c’était déjà le cas au forum de Copenhague le mois dernier. C’est très difficile pour la Russie et de toute façon, cela arrange toutes les parties d’une certaine manière, parce que, en l’état, la Russie considère qu’elle est plutôt accusée et donc elle n’a pas envie de se mettre en situation de faiblesse.
Mais cela n’empêche pas le prince héritier Mohammed ben Salman d’entretenir des relations importantes avec Vladimir Poutine, notamment dans le cadre de l’accord Opep+. Il faut rappeler qu’en octobre dernier, il y a eu la confirmation de la poursuite d’un maintien élevé des prix du pétrole. Et donc cela passe évidemment par des discussions étroites entre Moscou et Riyad.
Ce type de format n’est de toute manière jamais assuré de succès. C’est l’initiative en elle-même qui est importante, qui permet aux uns et aux autres de se positionner. C’est à porter au crédit du prince héritier qui va chercher à en tirer bénéfice. Il a été accusé notamment par les Occidentaux, et en particulier par les États-Unis, de jouer un double jeu par rapport à ces relations avec Vladimir Poutine. Mais en réalité, son initiative n’est pas pour contenter les Occidentaux, elle est vraiment pour se positionner, lui, en intermédiaire indispensable. C’est déjà le cas au Moyen-Orient et il veut élargir son assise. C’est la crédibilité qu’il veut donner au Royaume, donc il y a une logique spécifiquement saoudienne dans cette démarche.
Absolument. Rappelons d’ailleurs que l’Arabie saoudite a fait acte de candidature au sein des Brics en Afrique du Sud. C’est une façon de prendre ses distances par rapport à ses parrains historiques, en l’occurrence les États-Unis. Et c’est aussi une façon de diversifier les alliances et les relations, comme on le voit à la fois avec Moscou et Pékin, et c’est ce qui lui permet de jouer sur plusieurs niveaux.
À quoi faut-il s’attendre lors de ce sommet ?
C’est très difficile de spéculer. Une chose est sûre, c’est que des choses se passent en coulisses, tout n’est pas uniquement de la communication : on l’a vu le 22 septembre dernier lorsqu’il y a eu la libération de prisonniers internationaux détenus par la Russie, notamment d’un Marocain, de cinq Britanniques, de deux Américains, un Suédois et un Croate. Cela était présenté comme un succès personnel de la diplomatie proactive du prince Mohammed ben Salman.
Mais évidemment, sur un sujet aussi complexe, le dénouement ne pourra pas se faire à l’occasion d’un tel format. C’est en tout cas une étape qui montre les repositionnements des acteurs par rapport au monde occidental et une nouvelle articulation de ces pays « du Sud ».
Propos recueillis par RFI.