Peut-on parler aujourd’hui d’une vraie prise stratégique de la part de la Russie ?
Dans un premier temps, on peut dire qu’Avdiïvka est plus importante que Bakhmout par exemple. C’est ce qu’on appelle un « saillant » ou autrement dit un verrou. La réduction du saillant d’Avdiïvka était importante pour les Russes. En ce sens, Avdiïvka avait plus d’importance que Bakhmout. En plus, la ville était un nœud de communication, secondaire certes, mais réel. Sur le plan stratégique, la vraie différence ça sera, ou ça serait, le jour où la prise d’une ville préludera à une percée. Or pour l’instant, les Russes grignotent mais ne percent pas. Tant qu’il n’y a pas d’exploitation de cette prise, on ne peut pas dire qu’il y a une vraie importance stratégique.
Pourtant Vladimir Poutine s’est félicité d’une « victoire importante ». Elle l’est réellement ou est-ce un symbole ?
C’est assez symbolique et puis il n’y a pas eu beaucoup de victoires pour lui. Ça fait quand même deux mois que les Russes poussent sur tout le front et n’obtiennent que des résultats ponctuels. C’est la première fois qu’il y a un résultat significatif. Dans le cadre de la campagne électorale en Russie, ça a de l’importance pour Poutine.
Seul l’avenir le dira et cela dépendra des actions russes. Si derrière cette prise la Russie réussit à lancer une offensive qui parvient à bouleverser la donne, alors cela pourrait changer quelque chose. Car aujourd’hui c’est une perte mineure pour l’Ukraine.
Cette défaite ukrainienne est la première du nouveau chef des armées, Oleksandr Syrsky. Comment la juger ?
Je crois d’abord que Valery Zaloujny (ancien chef des armées de l’Ukraine, NDLR) est parti au bon moment. On ne connaît pas les détails qui l’ont conduit à partir mais ce qui est sûr c’est que son départ à un moment où le front vacille – mais qui tient bon (!) – finalement ça l’exonère d’une défaite et ça le rend « vierge » pour occuper un poste à responsabilité dans les prochains mois. Deuxième chose à noter, Syrsky est chef d’état-major général mais ce n’est pas le responsable de ce front-là, c’est le général Tarnavsky. Forcément c’est difficile pour un nouveau chef des états-majors de demander ce retrait. Mais il est réussi, il n’y a pas eu de panique ni de chaos, c’est plutôt positif pour Syrsky. Certes, son premier évènement restera cette défaite, mais elle était préparée depuis longtemps donc elle ne lui sera pas imputée.
Est-ce une défaite inquiétante pour l’Ukraine ?
Cela fait plus de deux mois que les Russes exercent une pression permanente dans cette région-là et c’est la première fois que les Russes marquent un point. Ce n’est pas majeur mais il faut le noter. Ça veut dire que le manque d’obus et de matériels commence à se faire ressentir.
Cette victoire russe peut-elle pousser les Russes à aller plus loin ?
De toute façon l’armée russe veut aller plus loin. Ils n’ont aucune raison de s’arrêter. Poutine a répété qu’il souhaitait atteindre tous ses objectifs et qu’ils ne l’étaient pas encore. Il ne cesse de le répèter, donc les Russes continueront de pousser.
Propos recueillis par Yohan Lemaire pour La Dépêche.