• Interview de [Philippe Hugon->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=hugon], directeur de recherche à l’IRIS, par Audreu Pelé

Pour Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS, la comparution de l’ex-chef d’État ivoirien, lundi à La Haye, entrave le processus de réconciliation dans le pays, à quelques jours des élections.

Laurent Gbagbo comparaît lundi devant la CPI. Quel est l’impact de cet évènement en Côte d’Ivoire à l’approche des élections législatives du 11 décembre ?

Cela ne fait qu’aggraver la situation politique. Il y a deux semaines le Front populaire ivoirien (FPI), le parti de Laurent Gbagbo, avait déjà annoncé qu’il boycotterait les élections. Des petits partis pro-Gbagbo avaient, eux, décidé de se présenter mais ils ont annoncé leur retrait après le transfert de Laurent Gbagbo à la CPI. Il est probable que l’Assemblée nationale ivoirienne, où le FPI est majoritaire aujourd’hui, bascule pour le Rassemblement des républicains de Côte d’Ivoire (RDR) d’Alassane Ouattara et pour le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié (ex-chef d’État ivoirien dont le parti s’est rallié à Ouattara au second tour de l’élection présidentielle ivoirienne).

La comparution de Laurent Gbagbo pourrait-elle entraver le processus de réconciliation du pays ?

Aujourd’hui, la réconciliation est en panne en Côte d’Ivoire. Le FPI a annoncé qu’il suspendait sa participation à tout processus de réconciliation en Côte d’Ivoire le jour où Gbagbo a été transféré à La Haye. Le président Alassane Ouattara avait pourtant mis en place en septembre la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) en Côte d’Ivoire. Mais cette instance, qui a été créée pour faire la lumière sur les violences du conflit post-électoral et condamner les responsables, fonctionne mal. Elle n’a pas pris de mesures contre les forces pro-Ouattara accusées d’avoir commis des exactions. La comparution prochaine de l’ex-chef d’État ivoirien ne fait que renforcer le sentiment qu’ont certains Ivoiriens que l’on recherche des responsables uniquement dans le clan Gbagbo. De plus, la CPI est mal perçue en Afrique notamment en Côte d’Ivoire. Les populations pensent qu’elle ne juge que des Africains et pas les dictateurs occidentaux.

Le procureur de la CPI a déclaré que des crimes ont été commis dans les deux camps durant les violences post-électorales en Côte d’Ivoire. Alassane Ouattara peut-il être mis en cause par cette Cour ?

Alassane Ouattara ne sera pas traduit devant la CPI. Il a gagné les élections et il n’y a pas de preuves qu’il soit responsable d’exactions. Cependant, Guillaume Soro, l’actuel premier ministre et ministre de la Défense, pourrait intéresser la CPI. C’est lui qui contrôlait les forces nouvelles, ces rebelles qu’on accuse d’avoir commis des crimes. Du côté Gbagbo, Charles Blé Goudé, le leader des Jeunes patriotes actuellement en exil, pourrait également être traduit devant la CPI. Il aurait pu pousser les troupes pro-Gbagbo a commettre des massacres. Enfin, Simone Gbagbo, l’ex-première dame de Côte d’Ivoire, pourrait être mis en cause dans d’autres affaires comme l’assassinat du journaliste franco-canadien Guy-André Kieffer en 2004.