Un an après la mort de Mahsa Amini, pour un voile mal ajusté, et les manifestations populaires qui ont suivi, où en est l’Iran ?
Le point capital, c’est que dans la tête de l’immense majorité des Iraniens, le régime de la République islamique issue de la révolution de 1979, est totalement discrédité. Condamné. Lors des précédentes protestations, comme lors du « mouvement vert » de 2009 en faveur de Mousavi [candidat réformiste volé à la présidentielle], beaucoup pensaient encore pouvoir réformer le régime de l’intérieur en soutenant des « modérés ». Plus personne n’y croit aujourd’hui.
Le symptôme que l’on a atteint un point de non-retour, c’est qu’aujourd’hui, beaucoup d’Iraniennes ne remettent pas le voile islamique. Malgré la répression, malgré les amendes, les contrôles de plus en plus vexatoires… Et les services de sécurité, qui ne peuvent mettre en prison toutes ces femmes, sont dans l’incapacité de leur imposer. D’où la tentative de renforcement de la législation sur l’obligation du port du voile qui vient d’être décidé avec des résultats plus qu’incertains.
De fait le régime n’est pas tombé…
Grâce à la répression. Ce sont des experts en la matière. Face aux manifestations, il y a d’ailleurs eu une répression différenciée. Dans la région kurde (ouest), d’où était originaire Mahsa Amini, et dans la région baloutche (est), les militaires ont tiré à l’arme lourde dans la foule des manifestants. À côté de cette répression de masse, il y a eu dans le reste du pays une répression plus ciblée qui a visé la jeunesse et qui était destiné à terroriser les familles, à travers des arrestations musclées, des sévices pour certains à caractère sexuel lors des incarcérations et plusieurs pendaisons en public destinées à faire un exemple.
Ce qui est intéressant, c’est que la contestation s’est adaptée et a changé de forme. On est passé des manifestations à une défiance individuelle mais généralisée vis-à-vis de tout ce qui représente la République islamique. Et donc le voile, qui a été le point de départ de la contestation.
Que peut-il se passer ce 16 septembre, date anniversaire de la mort de Mahsa Amini ?
On ne sait pas. Il ne va pas forcément se passer des choses majeures. Ce qui est sûr, c’est que la répression s’est encore accentuée, y compris sur la diaspora iranienne. Des jeunes Iraniens à l’étranger sont contactés parfois en visio par les services de sécurité qui se trouvent en présence de leurs parents demeurés en Iran. Une manière efficace de faire pression.
Combien de temps ce régime, que vous dites condamné, peut-il tenir ?
C’est la question. Le processus révolutionnaire en cours n’aboutira pas forcément dans un premier temps en tout cas à un régime démocratique, respectueux des droits humains. Il y a une autre possibilité susceptible de se dessiner, celle d’une dictature militaro-islamique, dont les Gardiens de la Révolution seraient les initiateurs.
Parce que le conglomérat de sociétés qu’ils contrôlent représente 30 % voire 40 % de l’économie iranienne. Or, une partie des Gardiens estiment que leurs intérêts sont aujourd’hui potentiellement menacés par une forme de « maximalisme théocratique » au point d’en arriver pour certains à se demander s’il ne serait pas finalement souhaitable de se passer de la tutelle des mollahs. A quoi bon renforcer encore des prescriptions religieuses dont la population ne veut plus ? Cela ne peut qu’attiser la colère de cette population, voire relancer des manifestations qu’ils auront la charge de réprimer. Ils sont d’autant plus inquiets que l’appareil d’État est infiltré par un courant « ultra ».
Qui sont ces «ultra»?
Ils sont liés au parti Paydari, partiellement héritier d’un ayatollah récemment décédé en janvier 2021, Mesbah Yazdi, qui pensait qu’il faillait convertir le régime de la République islamique en gouvernement islamique en faisant virtuellement l’économie d’un système électoral puisque les lois divines priment en toutes circonstances. Le parti Paydari est un courant minoritaire mais de plus en plus influent semble-t-il au point que d’aucuns – y compris certains conservateurs bon teint du régime iranien qui parlent d’un groupe d’« infiltrés » – estiment qu’il y aurait de leur part une stratégie de prise de contrôle des institutions du régime.
On pense que ces « ultras » ne sont pas étrangers à la vague d’empoisonnements au gaz dans lces écoles de filles durant plusieurs semaines après la contestation provoquée par le décès de Mahsa Amini ; ils poussent aujourd’hui au port strict d’un voile plus couvrant et même à la fermeture des salons de coiffure et d’esthétique. Il y aurait une forme de « talibanisation » rampante. Pour certains Gardiens de la Révolution, cet extrémisme est susceptible d’hypothéquer la pérennité du régime.
Mais qu’est-ce qui empêche le Guide suprême Ali Khamenei de bloquer l’influence de ces radicaux ?
Il ne peut pas les désavouer explicitement, parce que ce sont des zélotes, et qu’ils lui servent d’une manière ou d’une autre. Mais le maintien du régime dépend de moins en moins du pouvoir du clergé, totalement discrédité, au sein de la population comme l’a montré le jeu du « jeter de turban » dans les rues.
Quand on compare les dernières photos officielles du Guide et celles d’il y a plusieurs années, les « képis » des Gardiens ont largement remplacé, devant lui, les « turbans » des religieux. Or, le Guide a 83 ans, il est très affaibli par la maladie. Sa succession sera une étape cruciale pour le devenir du régime. Y aura-t-il un nouveau « Guide suprême » ou un pouvoir « collégial », voire l’instauration d’une junte militaro-islamique pour préserver des intérêts notamment économiques ?
Propos recueillis par Patrick Angevin pour Ouest France.