Après le « Super Tuesday » du 5 mars, Donald Trump avait le vent en poupe. Tout lui souriait. Il avait quasiment réussi le grand chelem des primaires et caucus républicains. Nikki Haley, sa seule rivale encore en lice dans la course à l’investiture, avait fini par jeter l’éponge. La Cour suprême venait de donner raison à l’ancien président dans l’affaire du Colorado, estimant qu’un Etat fédéré ne peut, en l’absence de loi fédérale, décider de l’inéligibilité d’un candidat à la Maison-Blanche.
Sa mainmise sur le parti se confirmait avec le ralliement du « vieux corbeau » (dixit Trump, et ce n’est pas bienveillant dans sa bouche) Mitch McConnell, chef de file (sur le départ) des républicains au Sénat. S’y ajoute la prise de pouvoir sur le Republican National Committee par sa bru, Lara Trump, dont le but est de continuer à utiliser les ressources financières du parti pour payer les frais judiciaires de son beau-père. Le récit médiatique dominant était que Joe Biden est trop vieux. Bref, Trump avait le vent dans le dos.
Mais si l’on y regarde de près, tout n’est pas si simple. Tout d’abord, il y eut les mots de Nikki Haley : elle ne soutient pas (ou plus) ouvertement Trump (pour le moment). Selon elle, il doit « gagner » l’électorat qui l’a préférée à lui. Et celui qui a le premier appelé cet électorat à le rejoindre n’est pas Trump, mais Biden.
Cela représente jusqu’à un tiers de celles et ceux qui se sont déplacés pour les primaires républicaines – et même une majorité à Washington D.C. et dans le Vermont, les deux scrutins remportés par Haley face à Trump. De là à dire qu’un tiers des républicains ne soutiennent pas Trump, il y a un pas à ne pas franchir : une partie non négligeable de ces votantes et votants sont indépendants, voire affiliés au Parti démocrate. Il n’empêche que personne ne sait, à ce stade, comment les soutiens républicains de Haley se comporteront le 5 novembre : leur choix se portera-t-il sur Trump, sur Biden ou sur aucun des deux ?
Un retard qui s’est creusé
Et c’est bien le point le plus inquiétant pour l’ancien président : il doit absolument élargir sa base pour espérer remporter l’élection générale. Les sondages nationaux qui aujourd’hui le placent en tête n’ont pas grand sens, puisque ce n’est pas le vote populaire qui décidera du vainqueur : cela se jouera, on le sait, au niveau de quelques Etats fédérés.
Certes, en 2020, Trump avait gagné 11 millions d’électeurs et d’électrices supplémentaires par rapport à 2016. Mais, dans les banlieues des grandes villes, chez les diplômés du supérieur, en particulier chez les femmes, dans l’électorat indépendant et républicain modéré, Trump accuse un retard qui s’est creusé depuis les élections de mi-mandat de 2018. Et ce n’est pas en insultant les partisans de Haley qu’il va (re)conquérir ces électeurs et surtout électrices.
Et cependant, on voit mal Trump adoucir son discours et axer la suite de sa campagne moins sur sa personnalité – ce qui lui a permis de galvaniser sa base – que sur son programme. Alors, comment regagner celles et ceux qui n’ont pas voté pour lui en 2020 ? Compter sur l’abstention des démocrates déçus par Biden est un pari risqué.
Autre épée de Damoclès : la Cour suprême doit se prononcer, d’ici la fin de sa session en juin, sur l’immunité de Donald Trump « contre des poursuites pénales pour une conduite supposée impliquer des actes officiels pendant son mandat », autrement dit pour son rôle dans l’insurrection du 6 janvier 2021. Autant sur l’affaire du Colorado, le suspense était faible, autant sur ce cas, les jeux sont ouverts. Et si la série des condamnations, pour l’instant seulement au civil, se poursuit, cela pourrait faire trembler la main d’un électorat républicain déjà hésitant.
Les démocrates enfoncent le clou
Le rouleau compresseur démocrate, lui, est lancé. Après un discours de Biden sur l’état de l’Union revigorant, le 7 mars, le parti a commencé à déployer une campagne de clips publicitaires qui enfoncent le clou des messages tenus lors de ce discours. Oui, Biden est âgé mais les idées et le programme comptent davantage. Non, Trump n’a pas changé ; au contraire, il sera même pire, souvenez-vous de sa présidence. Oui, c’est à cause de Trump que les femmes ne peuvent plus disposer de leur corps. Et oui, d’autres droits humains sont menacés, etc.
Joe Biden, la vice-présidente Kamala Harris et plusieurs ministres entament également une tournée des swing States, ces Etats pivots qui peuvent basculer d’un camp à l’autre à chaque élection, pour faire le SAV des réformes déjà menées et présenter leur programme sur le pouvoir d’achat, la baisse du prix des médicaments, la taxation des très hauts revenus. Car, pour Biden aussi, la partie est difficile.
Mais le Democratic National Committee dispose aujourd’hui de 41 millions de dollars de plus que son homologue républicain. Trump a dû dépenser pour faire campagne durant les primaires et a utilisé une partie des fonds pour ses déboires judiciaires. Or certains donateurs conservateurs sont frileux à l’idée que leur chèque serve à payer les amendes ou, par exemple, les indemnités dues à E. Jean Carroll, diffamée par Trump après qu’il l’a violée.
Mais, attention : les dons qui n’iraient pas à Trump pourraient se reporter sur les candidates et candidats au Sénat, à la Chambre des Représentants ou aux élections locales. Autrement dit pour les autres scrutins qui se jouent le 5 novembre et qui aideront, ou freineront, c’est selon, les ambitions du locataire de la Maison-Blanche, quel qu’il soit.
Tribune publiée par le Nouvel Obs.