• Marie-Cécile Naves

    Directrice de recherche à l’IRIS, directrice de l’Observatoire Genre et géopolitique

Après l’élection présidentielle de 2020, l’analyse de la sociologie du vote avait mis en évidence que la jeunesse progressiste avait largement soutenu Joe Biden. L’engagement associatif, militant et citoyen des jeunes générations en faveur du féminisme, de l’écologie, de l’antiracisme et de la réduction des inégalités socio-économiques (le tout étant évidemment lié) s’était aussi traduit dans les urnes. Il faut dire que les quatre années de Trump avaient laissé des traces profondes.

Désormais, le souvenir du trumpisme au pouvoir s’est émoussé. Il est même étranger aux primo-votants, celles et ceux qui étaient de jeunes adolescents, voire des enfants durant la présidence de Donald Trump : beaucoup ont de ce dernier une image relativement vague. Alors qu’en 2020, les deux tiers des moins de 30 ans avaient voté pour Biden, celui-ci accuserait, à cinq mois du scrutin, selon les enquêtes d’opinion, un retard important au sein de cette population. Cela ne signifie pas que les jeunes voteront majoritairement pour Trump : ils peuvent être tentés par les candidats indépendants ou par l’abstention. Ou voter Biden in fine.

Si la gestion, par la Maison-Blanche (et au moins autant ce qui en est perçu), de la guerre entre Israël et le Hamas risque de coûter des voix au président sortant chez les étudiants engagés à gauche, ce sujet n’est pas ce qui préoccupe le plus les moins de 30 ans : à l’instar des générations plus âgées, c’est l’inflation et plus particulièrement le pouvoir d’achat et le logement, mais aussi la santé (accès à une assurance quand on quitte le foyer parental, etc.) et l’accès aux droits qui figurent en tête des préoccupations. De l’avis des experts politiques travaillant avec les démocrates, l’équipe de Biden gagnerait donc à adapter ses messages en rappelant les acquis des quatre années écoulées (préservation et extension de l’Obamacare, annulation de près de 170 milliards de dollars de dette étudiante, etc.) et en communiquant sur la poursuite de ce programme en cas de réélection.

Parler de « jeunesse » en général n’a cependant pas beaucoup de sens. Il faut croiser l’âge avec la situation matérielle mais surtout le niveau de diplôme, l’origine et le genre. Autrement dit, pour bien comprendre ce qu’il se passe, l’analyse intersectionnelle (à laquelle se livrent du reste les deux candidats) est indispensable. Ainsi, Trump a accru sa popularité chez les jeunes hommes peu diplômés et issus des minorités noire ou latino. Le problème pour l’ancien président est qu’il ne s’agit pas d’électeurs fiables, tant ils figurent parmi ceux qui sont les moins sûrs d’aller voter. Et ce, d’autant plus que les républicains ont, dans de nombreux territoires, rendu l’accès aux urnes plus difficile pour ces populations, ce qui ne manque pas d’ironie. En revanche, Biden est à ce stade crédité de très bons scores chez les femmes et les hommes blancs diplômés du supérieur de tous âges, notamment les seniors, et chez les jeunes femmes de toutes origines, autant de catégories où la proportion d’électrices et d’électeurs certains de voter le 5 novembre est importante.

Un gender gap chez les jeunes
On note en effet un gender gap significatif dans les choix politiques des plus jeunes : les femmes penchent de plus en plus à gauche, alors que les hommes sont davantage, quoique de manière moins marquée, tentés par les idées conservatrices. Ajoutons que les deux tiers des diplômés du supérieur sont des femmes et que les jeunes hommes qui n’envisagent pas d’aller à l’université sont plus susceptibles de se dire conservateurs que ceux qui veulent faire des études. La campagne de Joe Biden et Kamala Harris multiplie d’ailleurs les messages sur la défense de l’avortement, de la contraception, de l’accès à la PMA et plus globalement les droits des femmes, y compris sur le plan économique. A contrario, les normes masculinistes, la violence verbale, le sentiment de déclassement économique, gros marqueurs du trumpisme, éloignent les jeunes femmes du vote républicain mais séduisent certaines catégories de jeunes hommes.

Afin d’attirer, ou d’attirer de nouveau à lui les électeurs hispaniques, surtout après sa politique de lutte contre l’immigration irrégulière à la frontière Sud qui déplaît à son aile gauche, Biden a par ailleurs adopté un vaste programme de légalisation des conjoints et des beaux-enfants de citoyennes et citoyens américains : possibilité de résider de façon permanente aux Etats-Unis, obtention d’une green card, etc. Il s’agit du plus vaste effort en faveur des clandestins depuis le programme Daca (Deferred Action for Childhood Arrivals) de Barack Obama en 2012, qui protège les illegals arrivés aux Etats-Unis alors qu’ils étaient mineurs, en leur permettant de faire des études puis de travailler.

Au final, dire que « les jeunes » ne votent plus Biden est une affirmation hâtive. La situation est bien plus complexe et, surtout, beaucoup d’inconnues, dont le niveau de participation, persistent à cinq mois de l’échéance. Décidément, rien n’est fait dans cette élection.

Par Marie-Cécile Naves pour Le Nouvel Obs.