Il y a quelques semaines, on a vu se multiplier des images de campagne de Donald Trump posant avec des groupes souriants de supportrices et supporters noirs, un électorat dans lequel il espère progresser en novembre prochain dans les Etats clés, surtout chez les hommes et chez les jeunes. Or ces photos laissaient une impression étrange. En y regardant de plus près, comme l’a fait la BBC, on s’est aperçu qu’elles étaient fausses : les collages étaient grossiers, les doigts d’un protagoniste manquaient, un autre avait trois bras. Il n’empêche : ces visuels ont été largement partagés par de (vrais) partisans de Trump et des médias ultraconservateurs acquis à l’ancien président. Avec son aval, voire à son initiative ? Nul ne le sait.
En revanche, le candidat républicain a, lui, bel et bien diffusé, fin mars, une vidéo parodique mettant en scène Joe Biden pieds et poings liés à l’arrière d’un pick-up. Et son compte Instagram publie régulièrement des montages montrant par exemple un camion-benne estampillé « Biden-Harris » en feu ou encore le président démocrate déroulant le tapis rouge à une foule de migrants en pleine course pour franchir la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Et en matière de deepfakes, il n’y a pas que les images. En janvier, des électeurs et électrices du New Hampshire ont reçu un appel téléphonique dans lequel la voix trafiquée du président en exercice leur déconseillait de voter aux primaires démocrates de l’Etat (la chaîne NBC a révélé depuis qu’un consultant politique, embauché par la campagne d’un rival de Joe Biden à l’investiture démocrate, en était à l’origine).
Il n’en reste pas moins que, depuis la campagne de 2015-2016, Donald Trump n’a cessé de propager et promouvoir de fausses images violentes ciblant ses adversaires ou celles et ceux qu’il définit comme tels : balles de golf lancées à pleine vitesse pour percuter et faire chuter Hillary Clinton ou Joe Biden, Donald Trump maniant une batte de baseball à côté de l’image du procureur de Manhattan Alvin Bragg ou encore match de catch dans lequel il frappait et mettait à terre une personne travaillant pour la chaîne CNN.
L’intelligence artificielle (IA) va-t-elle donc trop loin ? En réalité, la problématique, toujours la même, est plutôt celle-ci, quelle que soit la technologie : éviter de confondre l’outil et les usages que l’on en fait. On pourrait penser que le but, avec les deepfakes, demeure celui de la parodie. Cela relèverait alors du registre de l’humour, liberté inaliénable en démocratie. Le degré de mensonge auquel le trumpisme, aidé par le modèle économique des algorithmes, a mené depuis bientôt huit ans contraint néanmoins à parler de propagande antidémocratique et à poser la question des relais de cette dernière.
Du mythe de l’élection volée de 2020 en passant par les insultes et les appels à la haine (contre les journalistes, les migrants, les juges et leur famille, les opposants politiques, les femmes qui l’accusent de violences sexuelles, etc.), Trump est passé maître dans la stratégie de brouiller tous les repères et d’induire l’électorat et les leaders d’opinion en erreur, en promouvant une fausse histoire et non des moindres : il serait au-dessus des lois et de la Constitution.
Ce qui pose la question, comme pour les campagnes de 2016 et 2020, de la régulation des logiciels et réseaux sociaux, qui ont toujours un temps d’avance dans l’usage des technologies. Les plateformes ne sont pas non plus en dehors de l’Etat de droit. Des accusations d’interférence dans le processus électoral peuvent, leurs dirigeants le savent, leur valoir de graves ennuis judiciaires.Le 13 mars, le générateur d’images Midjourney – par lequel de fausses photos du pape François en doudoune blanche, du président français Emmanuel Macron ramassant des poubelles ou de Donald Trump arrêté par des policiers sont devenues célèbres – a décidé de bloquer la fabrication de visuels de Trump et de Biden générés par l’IA dans le cadre de la campagne 2024. De leur côté, Facebook et Microsoft (pour OpenAI) viennent de déclarer qu’ils ajouteraient la mention « fabriqué avec l’IA » aux posts et aux images en lien avec la campagne. Et cependant, on apprend que Meta va supprimer, en août, le logiciel CrowdTangle qui aide les journalistes à débusquer la désinformation sur Facebook et Instagram…
Donald Trump a, pour sa part, déjà riposté : il affirme que le Lincoln Project, un groupe de républicains qui lui est opposé, publie des messages utilisant l’IA pour le mettre en défaut et le « faire passer pour aussi mauvais et pathétique que Joe Biden l’escroc ». Mais si les spots en question alignent gaffes, hésitations et confusions de l’ancien président dans ses meetings et ses interviews, toutes ont réellement eu lieu. Ce n’est pas du fake. Retourner, contre celles et ceux qui les formulent, les accusations et critiques dont il fait l’objet est une stratégie systématique de Trump. Histoire d’alimenter un peu plus le récit de sa persécution.
Par Marie-Cécile Naves pour Le Nouvel Obs.