• Interview de [Didier Billion->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=billion] par Fabrice Aubert

Didier Billion est directeur des publications à l’Institut des relations internationales et stratégiques.

Comment peut être perçu le discours de Sarkozy par les peuples arabes, notamment ceux qui se soulèvent ?

Pour les centaines de milliers de personnes qui se sont mobilisées et qui se mobilisent encore, il est inaudible et est passé tout à fait inaperçu. Pour une simple raison : ces gens ont d’autres chats à fouetter. Le principal but de cette intervention était d’ailleurs de justifier le remaniement, qui n’intéresse évidemment pas les masses arabes.

Plus globalement, comment les pays arabes jugent-ils l’attitude de Paris ?

Il faut bien comprendre que, déclaration ou pas de Nicolas Sarkozy, la France est aujourd’hui "démonétisée" dans le monde arabe. Elle y a perdu de sa valeur car elle n’a pas su comprendre  (comme tous les autres pays Occidentaux il est vrai) les dynamiques en cours depuis la mi-décembre. Nous n’avons pas su réagir rapidement aux nouveaux défis posés par les protestations. Michèle Alliot-Marie n’a été en fait que le révélateur de cette politique mal axée.

Mais il faut distinguer les manifestants et des dirigeants. Les premiers ne se sont pas offusqués outre mesure de la réaction française.  En revanche, les élites (dirigeants, journalistes, intellectuels…) l’ont très mal perçue. Pour eux, la France, tout comme l’Union européenne, a été un simple commentateur, pas un acteur, qui a soutenu jusqu’au bout Zine Ebedine Ben Ali et Hosni Moubarak. Dans les semaines et les mois à venir, avec toutes les réorganisations des pouvoirs à venir, cela restera dans la tête des futurs dirigeants.

Cela pèsera donc dans les futures relations ?

Oui et non.  Il ne faut pas oublier non plus que les relations bilatérales entre les Etats ont leur nécessité. Même si la France n’a pas brillé ces derniers temps, elle entretient des liens étroits, dans le bon sens du terme, avec tous ces pays. Les choses vont donc reprendre leur cours. Et si l’attitude française laissera quelques traces indélébiles, elles ne plomberont pas pour autant notre politique. Il faut surtout désormais refonder notre relation avec le monde arabe. Sur quels axes ? Sur quelles bases ? Pour l’instant, c’est le grand mystère.

Alors, justement, Alain Juppé arrive au Quai d’Orsay pour refonder cette relation. Quelle est son image auprès des dirigeants et des diplomates arabes ?

Même si son passage aux Affaires étrangères remonte à plus de quinze ans, il a laissé une bonne image à ses homologues. Mais il ne faut néanmoins pas oublier qu’il avait brillé alors que les régimes de dictature étaient aux affaires, ce qui peut créer des difficultés avec les nouveaux dirigeants -ceci est valable pour la France comme pour tous les pays occidentaux.  Il part aussi avec un atout : pour les pays arabes, Il représente le gaullisme social, apprécié.

Une chose est sûre avec Alain Juppé : sa compétence dans le domaine lui permettra de réagir et de contribuer à la modification des choses. Avec l’éviction de Claude Guéant et de Jean-David Levitte, il aura en outre les coudées franches pour donner les impulsions qui seront les siennes, et non celles de Nicolas Sarkozy.

Plus globalement, qu’attendent aujourd’hui les pays arabes de la politique française dans la région ?

Aujourd’hui, comme avant, les peuples, comme les dirigeants, souhaitent que la France fasse entendre sa singularité. Par notre histoire, les impulsions gaullistes restent importantes dans l’opinion. En 2003, la prise de position contre la guerre en Irak, qui avait montré notre capacité de résistance aux Etats-Unis, a marqué l’opinion arabe. Il faut donc que nous fassions entendre une voix différente, non pas pour nous démarquer, mais tout simplement car il s’agit de notre tradition. Sur ce point, même s’il ne va pas tout bouleverser mais plutôt infléchir un mode de pensée, Alain Juppé est l’homme de la situation.