Les 22 et 23 décembre, malgré les protestations des dirigeants de la communauté juive de Vienne, Ayoub Kara, le vice-ministre israélien du Développement du Néguev et de la Galilée (Likoud), a rencontré en Autriche Heinz-Christian Strache, qui dirige le Parti autrichien de la liberté (FPÖ), parti d’extrême droite naguère présidé par Jörg Haider.
Ayoub Kara, un « faucon » qui n’est pas juif mais Druze, assume : « Selon mes recherches, le FPÖ est le seul parti en Autriche qui a soutenu Israël après le raid sur la flottille turque », a-t-il déclaré au quotidien israélien Yediot Aharonot. Il a ajouté :
« Strache compte m’accompagner jeudi à une cérémonie au mémorial viennois de l’Holocauste et il appelle à renforcer la nation juive et l’Etat d’Israël. »
Cet arabe israélien proche de Netanyahou qui fait l’éloge du FPÖ, une formation qui a recyclé tous les épurés (et les non- épurés ! ) du national-socialisme, est-il un illuminé marginal ou annonce-t-il un rapprochement de fond entre la droite nationaliste israélienne et l’ultra-droite européenne ?
Pour comprendre, retour à Jérusalem, le 4 décembre. Ce jour-là le chef de file du Parti de la liberté (PVV), le néerlandais Geert Wilders, converse avec le ministre de l’Intérieur Avigdor Lieberman. Voyage banal : l’homme qui veut interdire l’islam en Hollande est habitué aux visites dans l’Etat hébreu.
Plus étonnante est la visite, le lendemain, d’une délégation de l’Alliance des partis européens pour la liberté et les droits civils, organisation parapluie rassemblant des partis d’extrême droite de la quatrième génération.
Focalisés contre l’islam (et non contre l’islamisme), ancrés dans la théorie du « Choc des civilisations », partisans de la démocratie directe contre les élites, ces mouvements veulent, question d’image et de crédibilité, se débarrasser des oripeaux encombrants de l’antisémitisme.
Pour faire jonction avec cet intérêt tactique, ils partagent une croyance : à tout prendre, Israël mérite d’être soutenu parce qu’il est un rempart de l’Occident contre la progression de l’islam.
Dans cette délégation, dont la venue en Israël est un événement dans l’histoire de l’extrême droite d’après 1945, tous ne sont pas, ou n’ont pas toujours été, des philosémites convaincus.
•Le député européen autrichien Andreas Mölzer publie à Vienne l’hebdomadaire Zur Zeit, qui continue à vendre à ses lecteurs les livres du négationniste David Irving et les hagiographies de la Waffen SS.
•Le riche promoteur immobilier allemand Patrick Brinkmann, avant de devenir président du mouvement anti-islam Pro NRW et d’opérer une spectaculaire conversion philosémite, militait dans l’orbite du NPD puis de la DVU, partis des plus radicalement « antisionistes ».
•Filip Dewinter et Frank Creyelman sont des élus flamands du Vlaams Belang qui poursuit depuis quelques années une opération de séduction à grande échelle vis-à-vis de l’importante communauté juive d’Anvers en Belgique, qui est confrontée à une montée considérable de l’antisémitisme dans la jeunesse issue de l’immigration marocaine.
Une réalité qui ne doit pas faire oublier qu’à l’origine, le Vlaams Belang est le parti qui réclame l’amnistie pour les collaborateurs flamands du nazisme. Ce qui donne une certaine saveur à sa déclaration faite en Israël :
« Israël vit et existe sur la ligne de front du conflit entre les civilisations. Le conflit israélo-arabe incarne le combat entre la civilisation occidentale et l’islam radical. Le combat entre ceux qui chérissent la liberté et ceux qui veulent soumettre le monde à la théocratie musulmane. »
Ce voyage avait également mobilisé deux autres élus :
•Le député berlinois René Stadtkewicz, qui vient de lancer le parti Die Freiheit après avoir été exclu de la CDU pour avoir invité Geert Wilders ;
•le député suédois des Sverigedemokraterna, Kent Ekeroth. Celui-ci, stagiaire au titre du volontariat à l’ambassade de Suède à Tel-Aviv en 2006, en avait été prestement viré lorsque les Affaires étrangères suédoises avaient découvert son militantisme dans un parti qui puise ses racines dans l’ultra-droite la plus racialiste. Une décision plus tard jugée illégale par la justice suédoise, qui accorda à Ekeroth réparation financière…
Visite de la Bande de Gaza et réception à Knesset
Qu’à fait cette délégation en Israël ? Elle a participé à un colloque au Collège académique d’Ashkelon, sur le thème « La plénitude de la loi des actes militaires appliqués par un Etat souverain contre les attaques terroristes des islamistes fondamentalistes ».
Parmi les organisateurs figuraient le maire d’Ashkelon, Benny Vaknin et un représentant de la fraction Manhigut Yehudit, l’aile radicale nationaliste identitaire du Likoud.
Elle s’est ensuite rendue sur la frontière entre Israël et la Bande de Gaza où un officier de haut rang de l’armée israélienne lui a expliqué la situation sur place. Elle a été reçue par le maire de Sderot David Bouskila.
Enfin, le 7 décembre, elle a été reçue à titre privé à la Knesset par le député Arié Eldad, du parti Union nationale, qui préconise le transfert en Jordanie de la population palestinienne.
Pour Strache, Molzer et Dewinter, personnalités importantes de la vie politique dans leurs pays et classés à l’extrême droite, cette visite est une « première ».
Tant le FPÖ que le Vlaams Belang ne se sont pas affiliés à l’Alliance européenne des mouvements nationaux qu’ont mise en place Bruno Gollnisch et le Front national en octobre 2009. Cette visite en Israël va sans aucun doute accentuer encore le fossé.
« Une responsabilité particulière vis-à-vis de ce pays prospère »
La question souvent posée est : cette évolution pro-israélienne est-elle sincère ? A s’en tenir aux déclarations officielles, aucun doute. Ainsi Strache a-t-il affirmé :
« Nous portons une responsabilité particulière vis-à-vis de ce pays prospère. Il a été édifié par des gens qui viennent d’Europe, certains volontairement mais la plupart suite aux persécutions des nazis. »
La « déclaration de Jérusalem », signée par les visiteurs le 7 décembre situe parfaitement le plan sur lequel est scellée la nouvelle alliance entre la droite ultra-nationaliste israélienne et ses homologues européennes :
« Nous avons vaincu les systèmes totalitaires comme le fascisme, le national-socialisme et le communisme.
Maintenant, nous nous trouvons devant une nouvelle menace, celle du fondamentalisme islamique, et nous prendrons part au combat mondial des défenseurs de la démocratie et des droits de l’homme. »
De tels propos ne devraient pas manquer de susciter des réactions contrastées au sein de partis comme le FPÖ et le Vlaams Belang où les « occidentalistes » partisans du rapprochement avec Israël au nom de la lutte contre l’islam, côtoient des antisionistes souvent proches de l’antisémitisme traditionnel à l’extrême droite.
Les esprits chagrins font d’ailleurs remarquer que le philosémitisme de ces pélerins d’un genre nouveau n’exclut pas leur goût pour les réminiscences du passé.
Comme le montre, photo à l’appui, le quotidien viennois Der Standard, Heinz-Christian Strache a jugé bon de visiter le mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, la tête couverte, comme le veut la tradition juive.
Sauf qu’au lieu d’utiliser la kippa qui est proposée à l’entrée du mémorial, il a revêtu la casquette de la corporation d’étudiants à laquelle il appartient, la Burschenschaft Vandalia. Les corporations étudiantes autrichiennes restent des bastions de l’idéologie pangermaniste et droitière.