Pour l’Afrique, comme pour l’Europe, le changement de paradigme vers un modèle responsable et durable apparaît incontournable affirme Jean-Marc Gravellini, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste de la zone sahélienne.

Si le continent n’est pas en mesure de nourrir ses 2,5 milliards d’habitants à l’horizon de 2050, ce sont évidemment des catastrophes humanitaires qui s’annoncent.

Ces dernières semaines, les feux de l’actualité se sont braqués sur les défis auxquels le monde agricole est confronté en Europe. Tous les objectifs, qu’il s’agisse de la transition agroécologique, du respect des normes sanitaires, de l’équité sociale à travers une juste rémunération des producteurs, de la préservation du pouvoir d’achat des consommateurs, de la nécessité d’assurer une meilleure souveraineté alimentaire, apparaissent comme autant de paramètres d’une équation difficile nécessitant de faire des choix et donc de procéder à des renoncements au moins provisoirement.

L’Afrique est confrontée elle aussi à des défis qui entraîneront des conséquences encore plus dramatiques

Cette actualité, qui a fait la une de nos journaux et aujourd’hui encore à l’occasion du Salon de l’Agriculture à Paris, ne doit pas nous faire oublier que l’Afrique est confrontée elle aussi à des défis qui, s’ils ne sont pas relevés, entraîneront des conséquences encore plus dramatiques. Si le continent n’est pas en mesure de nourrir ses 2,5 milliards d’habitants à l’horizon de 2050, ce sont évidemment des catastrophes humanitaires qui s’annoncent, dont les émeutes de la faim après la crise financière en 2009 ou encore les ruptures d’approvisionnement en céréales après l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont montré la fragilité structurelle de la plupart des pays africains.

Pour affronter cette situation, l’Afrique doit évidemment accroître les volumes de production et gagner en compétitivité. Il faut que cela se fasse en professionnalisant davantage le monde agricole, en renforçant son expertise, tout en garantissant aux agriculteurs et aux éleveurs un revenu décent. Sans respecter cette contrainte d’équité sociale, le monde rural africain pourrait s’opposer au monde des urbains ; cette tension a souvent été à la source d’importants conflits en Afrique comme dans le monde.

L’Afrique se doit en même temps de préserver l’environnement, la biodiversité et le climat

Alors que les terres sont encore en grande partie libres en Afrique, que le potentiel d’irrigation est très peu valorisé, qu’une révolution verte y est par conséquent possible, l’Afrique se doit en même temps de préserver l’environnement, la biodiversité et le climat. C’est un défi incontournable auquel les acteurs du monde rural devront également se plier car il n’est concevable ni pour eux-mêmes, ni pour l’ensemble de la planète, qu’ils reproduisent à l’identique les modèles qui ont montré leurs limites que ce soit en Europe, en Asie, ou encore en Amérique Latine. Les Africains eux-mêmes seraient les premières victimes de la poursuite d’une déforestation anarchique ou d’un usage abusif des ressources en eau ou encore d’un recours débridé aux énergies fossiles.

Pour l’Afrique, comme d’ailleurs pour l’Europe, on peut dire que l’heure est grave, car si le changement de paradigme vers un modèle responsable et durable apparaît incontournable, il faut aussi admettre qu’à l’échelle des défis considérables auxquels nous sommes confrontés, les solutions pour un véritable passage à l’échelle, n’existent pas ne serait-ce que pour accroître les productions et nourrir le continent. Il faut donc résolument investir massivement dans la recherche pour mettre au point les nouvelles pratiques puis les vulgariser.

C’est autour de l’entreprise et pour l’entreprise que les politiques publiques des État doivent s’articuler

Il faut également que les agriculteurs et les éleveurs africains soient davantage financés. Nous, entreprises françaises membres de l’association ALFA qui faisons la promotion de l’entrepreneuriat agricole en Afrique, sommes convaincus que les acteurs privés sont au cœur du développement des chaînes de valeur depuis la petite exploitation familiale, jusqu’à la grande entreprise de transformation en passant par les exploitations agricoles de taille moyenne et intermédiaire. C’est autour de l’entreprise et pour l’entreprise que les politiques publiques des État et celles des bailleurs de fonds doivent s’articuler. La France dispose d’un véritable savoir-faire du fait de ses entreprises, ses coopératives, ses organismes de recherche et ses institutions financières qui pourraient être mobilisés pour relever ces défis.