Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS décrypte le mode de gouvernement d’Hugo Chávez et son rapport à l’autorité.
D’autres gouvernements s’appuient sur un État fort bien entendu. Dans la période précédente c’est le démantèlement de l’État qui avait été la règle en Amérique latine avec les privatisations en particulier des services publics. On assiste donc effectivement à un retour de l’État, mais sous des formes qui peuvent être assez différentes. Il faut par exemple considérer Cuba à part, puisque là-bas paradoxalement, tout appartenait à l’État. Or on assiste à une ouverture au secteur privé en raison de la grave crise économique et sociale que vit ce pays.
Quand la démocratie est revenue en Amérique latine, les électeurs ont sanctionné les gouvernements installés. À partir de là, chaque pays a son histoire. Les équipes arrivées peuvent être qualifiées de « gauche », mais c’est un terme tellement général que cela ne veut pas dire grand-chose. Les gouvernements ont été élus pour faire du social et de la croissance économique. Ils ont fait du social et essayé de faire de la croissance économique, mais à partir de la culture particulière à chaque pays.
Au Chili, la sortie de la dictature a été conduite par une alliance entre les partis de centre-gauche et la démocratie chrétienne. Au Venezuela c’est plutôt un renouveau qui est venu des forces armées, avec un certain nombre de militaires progressistes et nationalistes.
Au Brésil c’est un parti syndicaliste, le Parti des Travailleurs, qui est arrivé au pouvoir. On a des formules qui sont très différentes d’un pays à l’autre. Il existe aussi quelques foyers de résistance, dont le Mexique, où l’alternance s’est faite au profit d’un parti de centre-droit.
La Colombie avait une situation particulière de conflit interne qui a bloqué toute possibilité d’alternance. On a constaté également des retours en arrière à Panama et au Chili, à l’occasion des élections de l’année dernière. Les pratiques politiques en Amérique latine sont très larges, c’est une gauche à mettre au pluriel, même si les raisons pour lesquelles il y a eu alternance sont les mêmes pour l’Équateur que pour le Venezuela en passant par l’Argentine, le Brésil et le Paraguay.
En effet, c’est le pétrole qui est central au Venezuela. Ses revenus alimentent toute une série de politiques dynamiques notamment en matière sociale. Comme tous les autres pays monoproducteurs de pétrole, le Venezuela souffre du même problème : l’économie pétrolière tue le reste de l’économie. Le social, la création de coopératives ou la récupération de terres sont des secteurs d’activité assez marginaux et plutôt à finalité politique. Les revenus du pétrole délimitent la possibilité pour le Venezuela et son gouvernement de procéder à une répartition des revenus de l’État. Ces derniers sont à 95 % pétroliers et non pas agricoles.
Il y a une sorte de malédiction des économies pétrolières qui fait que tous les autres secteurs disparaissent. Le problème sera pourtant posé à un moment ou à un autre, car le pays sera un jour obligé de trouver une autre source de revenus.
Avec le Venezuela on se trouve au cœur d’un débat contradictoire. Pour l’opposition et pour la hiérarchie de l’Église catholique, le Venezuela est à deux pas de devenir une dictature. Pour le gouvernement de Chávez, il est au contraire dans une phase d’approfondissement de la démocratie, cette dernière étant menacée par l’irresponsabilité de l’opposition.
On constate qu’il y a eu beaucoup d’élections depuis la première victoire d’Hugo Chávez fin 1998. Ces élections il les a toutes gagnées, à l’exception d’un référendum il y a deux ans. Comme il a perdu un scrutin, cela prouve qu’il est possible pour l’opposition, si elle présente une plateforme suffisamment crédible, de remporter d’autres victoires. Aux dernières élections législatives, fin 2010, l’opposition a obtenu 30 % des voix et des sièges, alors qu’elle avait boycotté les élections précédentes en signalant qu’elle n’avait plus de place.
L’interprétation de la démocratie qui est faite par le gouvernement vénézuélien actuel est parfois limitée. Lorsqu’il a fait voter la possibilité de gouverner par décrets avant la dissolution de l’Assemblée qui lui était acquise à 90 %, il l’a fait de manière légale. D’un certain côté, c’est démocratique puisque cela a été fait dans le respect des institutions, mais d’un autre côté, il s’agit quand même d’une facilité de langage. On est ici dans une interprétation très extensible de ce que permet la démocratie.
En effet, même si cela s’est fait en conformité par rapport à ce que prévoit la Constitution, gouverner par décrets pendant un an et demi alors qu’il y a un nouveau Parlement et une nouvelle majorité, cela respecte peu l’esprit de la démocratie. Il y a là un entre-deux dans lequel l’opposition politique, si elle était un peu plus crédible auprès des électeurs, aurait la possibilité de s’engouffrer et de provoquer une alternance, notamment aux prochaines élections de 2012.
Plutôt que d’autoritarisme je parlerais plutôt d’une « confiscation des contre-pouvoirs », mais que Chávez se permet en utilisant jusqu’au bout ce que permettent les textes constitutionnels. Pour l’instant il n’y a pas eu de violation des règles institutionnelles. Elles sont interprétées au maximum pour élargir ses capacités d’intervention dans la vie politique vénézuélienne. En revanche, le pays est dans une situation où, si l’opposition gagne les élections de 2012, personne ne peut dire avec certitude ce qu’il pourrait se passer. Le président actuel Hugo Chávez acceptera-t-il les règles de l’alternance ou bien les refusera-t-il, pas comme l’ont laissé entendre certains militaires de son entourage ?