Tout d’abord, la question (ndlr : La communauté internationale peut-elle dissuader Israël de frapper l’Iran ?) me gêne car il est difficile d’expliquer pourquoi un pays, Israël, qui dispose d’un arsenal nucléaire militaire (de 100 à 300 ogives nucléaires) s’arrogerait le droit d’attaquer un autre pays, l’Iran, signataire du Traité de non-prolifération (TNP), parce qu’il le soupçonne d’avoir l’intention de militariser son programme. L’argument qu’Israël n’a pas signé le TNP est peu recevable. Cela crée un véritable déséquilibre stratégique dans la région et que n’a-t-on pas écrit sur le refus des Etats-Unis de ratifier le traité de Kyoto alors qu’ils sont un des principaux pollueurs de la planète.
Par ailleurs, je ne suis pas certain que les autorités israéliennes aient vraiment l’intention d’attaquer l’Iran. Il s’agit plutôt d’une stratégie de la menace qui vise à pousser les pays occidentaux à accroître la pression sur l’Iran. L’Iran joue ici le rôle de la menace extérieure qui permet d’unifier le pays et faire oublier les autres problèmes politiques et sociaux. Il n’est pas sûr qu’il y ait un véritable consensus en Israël pour une telle attaque. L’ancien chef du Mossad, Meier Dagan, a récemment réaffirmé son opposition résolue à une telle action.
D’une façon générale, on néglige les éléments de politique intérieure et de communication dans cette crise. Barack Obama est en campagne électorale et compte tenu d’une situation économique difficile, a besoin de montrer que sa politique extérieure n’a pas affaibli les Etats-Unis et de réaffirmer son soutien à Israël. Cette situation pourrait expliquer l’ampleur donnée par les autorités américaines au soi-disant complot d’un iranien résidant aux Etats-Unis (qui ressemblait plus à Mr Bean qu’à James Bond) pour assassiner l’ambassadeur de l’Arabie Saoudite aux Etats-Unis en demandant l’aide du cartel de la drogue mexicain…
Ceci ne signifie pas que le dossier du nucléaire iranien ne constitue pas un enjeu. Mais il serait temps de l’aborder rationnellement. Quel a été le résultat de toutes les sanctions multilatérales et bilatérales prises contre l’Iran depuis 2007 et même avant ? Oui, certaines ont limité les flux financiers entre l’Iran et le reste du monde et pèsent sur l’économie. Mais elles pèsent surtout sur la population qui doit payer plus cher des produits maintenant importés illégalement. Pourquoi punir collectivement une population (il y a quand même eu en Iran de nombreux morts dans des accidents d’avions du fait de l’embargo américain sur les équipements aéronautiques vendus à l’Iran) alors que qu’une majorité des Iraniens a démontré son aspiration à une plus grande démocratie en 2009 et doit, en outre, subir une dure répression des autorités ? Est-ce que ces sanctions ont eu un impact sur le programme nucléaire iranien ? Pas un seul. Au contraire, l’Iran a augmenté sa capacité d’enrichissement à 20 % et est maintenant beaucoup plus radical dans ses négociations avec les Occidentaux. Pour information, il faut noter que le nouveau directeur de l’organisation iranienne de l’énergie et vice-président, Fereydun Abassi Davâni, est un des scientifiques qui a échappé à une tentative d’assassinat probablement mené par des services secrets étrangers. Je doute que cela l’ait rendu plus "modéré" face aux pressions occidentales.
Contrairement à ce que disent de nombreux éditoriaux où le nom d’Ahmadinejad précède d’une ligne le mot "bombe", le programme nucléaire iranien est dirigé par le Conseil national de sécurité où sont représentées toutes les instances du pouvoir iranien concernées par ces questions. Et il n’est absolument pas certain que depuis 2003, la décision politique de construire une bombe ait été prise au sein de ce conseil. Par ailleurs, le programme nucléaire iranien est devenu une affaire d’identité nationale en Iran et le régime perdrait le peu de légitimité qui lui reste en cédant à toutes les exigences occidentales.
Dans ces conditions, il serait bon au moment où la crise financière de la zone euro oblige les Européens à affronter des questions fondamentales (solidarité financière entre Etats, légitimité démocratique des institutions, etc.) que l’Union européenne change radicalement sa politique iranienne sur le dossier du nucléaire. Au lieu de toujours évoquer plus de sanctions qui ne mènent à rien, il faut absolument se concentrer son énergie sur de véritables négociations. Il faut également prendre conscience que derrière ce dossier du nucléaire, il y a la question des relations (ou leur absence) entre l’Iran et les Etats-Unis et Israël. Il faut donc aussi que l’UE ait une politique iranienne qui défende vraiment ses intérêts économiques et stratégiques.