Alors que la communauté internationale se prépare à intervenir en Libye, Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste des questions de défense, revient pour leJDD.fr sur le scénario le plus probable et sur le rôle de la France dans cette coalition.
L’intervention des forces de la coalition est le scénario le plus envisageable. Il faudra voir quels pays en font partie – les Britanniques, les Français, sans doute les Emirats arabes unies et le Qatar – et qui fournit quoi. L’opération visera d’abord les bases de défense aériennes libyennes. Il y aura certainement des frappes sur les bases aériennes, les aéroports, sur les avions stationnés à terre et éventuellement sur les troupes du colonel Kadhafi au sol. La résolution indique bien que toutes les mesures nécessaires peuvent être prises pour protéger la population. Ces frappes devraient arriver très vite. Soit dans la journée, soit au plus tard ce week-end. Les forces de Kadhafi étant très proches de Benghazi, il faut aller très vite.
Il faut mettre en place une chaîne de commandement. Pour l’instant, cela n’est pas très clair. Il est possible que cette chaîne soit franco-britannique. Dans l’Union européenne, ce sont deux pays appelés "nation cadre", c’est-à-dire qu’ils sont capables de planifier des opérations militaires. Je ne sais pas quelle sera la contribution des Américains, mais a priori ils seront en retrait, plutôt en soutien par rapport au Royaume-Uni et à la France.
La France possède des avions de combat: des Rafale, des Mirage 2000D (dotés de bombes et de missiles air-sol). Il faudra aussi des avions de surveillance à basse altitude pour détecter des avions adverses, des Awacs. La France et le Royaume-Uni en possèdent, mais la coalition aura peut-être recours au matériel de l’Otan. Pour cela, il faudra attendre la décision de l’organisation et notamment savoir si la Turquie s’oppose ou non à l’utilisation de ces avions dans le cadre des frappes aériennes.
A priori, il n’y aura que très peu de soldats français en Libye, puisque seules des frappes aériennes sont prévues. Il ne faut donc que les équipages des différents avions. Après il faut également voir où se fait la coordination de la coalition: au sol ou sur mer, via notamment le BPC Mistral, qui peut servir de bateau relais dans la chaîne de commandement.
En Libye, la coalition a l’avantage d’être sur un terrain plat, en zone désertique, où il est plus facile de reconnaître des cibles, qu’elles soient humaines ou matérielles. Le risque éventuel, c’est que le colonel Kadhafi utilise la population comme rempart. Nous verrons dans les prochaines heures, mais je ne pense pas qu’il agira ainsi sur une grande échelle, sous peine d’être certain d’être en accusation devant la cour pénale internationale.
Il est évident que l’on se trouve dans des opérations militaires qui sont des opérations de guerre. En tout cas, cela ressemble très fortement à ce qui s’était passé au Kosovo en 1999. C’est à peu près les mêmes schémas d’emploi des forces: pas d’opérations au sol, mais quelque chose qui va au-delà de l’exclusion aérienne puisqu’on envisage clairement des frappes contre les forces libyennes.
La véritable difficulté est qu’il n’y avait pas de consensus ni au niveau de l’Otan, ni au niveau de l’Union européenne. Il fallait convaincre la Russie et la Chine de ne pas s’opposer à la résolution au Conseil de sécurité des Nations unies. Les deux pays – qui possèdent un veto – se sont abstenus jeudi soir. Mais je pense que l’élément déclencheur a quand même été le revirement de la position américaine. Alors qu’ils étaient en retrait sur cette question, ils ont fini par donner le feu orange à l’opération. Les Américains sont très divisés sur ce sujet, entre ceux qui ne souhaitent plus intervenir dans ce type de conflit, échaudés par l’expérience irakienne et afghane; et ceux qui considèrent que ce serait quand même une catastrophe de laisser le colonel Kadhafi en place.
Il faut attendre. Mais, il est probable qu’avec le début des opérations des frappes aériennes et le vote de l’ONU, il y ait de nouvelles défections au niveau politique ou militaire, comme cela a été le cas au début de la rébellion. Le colonel Kadhafi pourrait se retrouver très isolé et, dans ce cas-là, il n’est pas exclu qu’il cherche, pour lui et sa famille, à échapper notamment à une condamnation éventuelle de la cour pénale internationale. Jusqu’à présent, il n’avait jamais été vraiment en position de perdre totalement le contrôle de la situation. Je pense que son calcul était de se dire que tant que la communauté internationale n’était pas directement engagée, il pouvait contrôler la situation parce qu’il en avait la volonté, mais aussi les capacités militaires. La situation ne pouvait finalement réellement basculer que si la communauté internationale s’impliquait dans ce conflit.