En Chine, de plus en plus de jeunes semblent se détourner de la philosophie communiste du régime ainsi que de son approche du monde du travail. The Economist rappelle ainsi qu’en 2012, quand Xi Jinping prend le pouvoir, sa proposition paraît séduire la population chinoise. Depuis, la société chinoise serait moins engageante, particulièrement pour les travailleurs nés entre 1990 et 2000. Que s’est-il passé exactement ?
C’est un désenchantement manifeste qui est lié à des raisons structurelles et conjoncturelles. Structurelles : la société chinoise – pour une partie d’entre elle tout au moins (classes éduquées et urbaines) – aspire depuis longtemps à d’autres choses que le seul bien-être matériel. C’est pour les jeunes, la génération « tang ping ». Littéralement, ceux qui optent pour rester couchés et refusent les exhortations du régime que d’aller travailler pour de bien trop maigres salaires. C’est la « Bof génération », celle des enfants gâtés dont les parents se sont sacrifiés mais avec un avantage que les jeunes n’ont plus : l’on pouvait, il y a vingt ans, largement bénéficier des fruits de son travail. Cela n’est plus et le coût de la vie (immobilier, frais de santé…) a explosé. Nous sommes à des années lumières de cette période que le sinologue Benoit Vermander avait qualifié naguère de « trente glorieuses » (1978-2008) pour la Chine. Désormais, la société chinoise entre dans une période de stagnation voire de récession ; la pandémie ayant aggravé cette tendance. Xi Jinping croyait encore en une dynamique générale à son arrivée au pouvoir dans un contexte international alors bien différent : celui d’une économie mondiale ouverte. Le protectionnisme américain, le retour des souverainetés en Europe, la guerre en Ukraine et les craintes qu’inspire le régime chinois à l’Occident rebattent les cartes. Le gouvernement chinois est confronté à une situation inédite : 21 % de chômeurs, selon les statistiques officielles et pour les villes seules, sans doute beaucoup plus officieusement car ce chiffre émane de l’Etat-Parti et ne dit rien de la situation caractérisant le monde rural. Bref, la logique de croissance s’éloigne et politiquement le risque d’une animosité déclarée de la jeunesse contre le régime peut à tout moment se manifester.
L’économie chinoise, quoique réputée dynamique, est aujourd’hui à la peine. Le chômage frappe tout ou partie de la population, particulièrement les jeunes de 16 à 24 ans, qui sont plus de 21% à ne pas trouver d’emploi. Comment le gouvernement de Pékin répond-il aux inquiétudes et aux angoisses de sa population ? A-t-il opté pour une stratégie spécifique afin de reconquérir les jeunes, tout spécialement ?
C’est le néant. Xi Jinping poursuit ses chimères sans mesurer le désarroi réel de cette jeunesse qui n’a pas hésité à déchirer récemment, et en place publique – en le médiatisant sur les réseaux sociaux – ses diplômes. C’est en quelque sorte la deuxième sommation adressée au régime, après celle de novembre 2022, lorsqu’à Shanghai plusieurs milliers de jeunes s’étaient rassemblés pour en appeler à la démission de Xi Jinping et contester sa politique d’ultra-confinement. Nous sommes entrés dans une période de défiance et même si l’on peut supposer que beaucoup de Chinois soutiennent par nationalisme les positions du gouvernement chinois à l’encontre de l’Occident et dans le soutien réservé à la Russie, ces positions sont loin de faire l’unanimité. En d’autres mots, le divorce entre les sociétés d’en haut et d’en bas est déjà très largement consommé.
Le régime de Pékin peut-il se permettre de perdre la jeunesse ? Quel est l’impact immédiat politique et économique de la désillusion de cette dernière et qu’est-ce cela dit de l’avenir de la Chine ?
Nous avons peut-être déjà assisté sans le savoir au prélude d’une crise très grave qui n’est pas sans rappeler le scénario de 1987. Je m’explique : contestations étudiantes cette année là du fait de l’absence de retombées économiques faisant le lit d’une secousse plus importante encore que sera Tiananmen en 1989. Bien sûr la société chinoise a beaucoup changé depuis avec une constante toutefois, et que rappelle Yves Chevrier dans son dernier ouvrage L’Empire terrestre : l’expression de la démocratie en Chine n’a jamais été instituée. Ces contestations finissent donc toujours dans un bain de sang.
La Chine s’engage de plus en plus au sein des BRICS qui compteront bientôt de nouveaux membres. Peut-elle espérer compenser les pertes actuelles, en interne, à l’aide de son rayonnement international ?
Xi Jinping a un logiciel de retard (et il n’est pas le seul y compris en Occident et / ou en Russie) en croyant que nous sommes dans une configuration qui est celle d’une confrontation entre blocs. Rappelons le fait comme le soulignait récemment Frédéric Encel dans vos colonnes que les BRICS ne constituent pas une alliance et certainement pas une alliance anti-occidentale. Non plus que nous devrions imaginer le fait que les relations entre les BRICS soient des relations apaisées. Voyez l’état des relations très tendues entre deux de ses membres que sont l’Inde et la Chine. Au reste, le seul bénéficiaire quant à son entrée nouvelle au sein des BRICS est l’Iran. Est-ce une opportunité pour la Chine ? Pour le pétrole de Téhéran certes mais l’Iran ne fabrique pas les microprocesseurs dont Pékin a besoin. Taïwan et l’Occident, si.
Propos recueillis par Atlantico.