Il y a des jours, dans la vie, qu’on ne regrette pas d’avoir vécus. Tunis, ce 14 janvier 2011, était le plus bel endroit de la terre. Dans un pays, dans une région où cela ne s’était jamais fait, un peuple et sa jeunesse chassaient un dictateur, tranquillement, sans violence, en chantant. Peu de gens sensés croyaient que sa fuite serait rapide. La foule massée sur l’avenue Bourguiba en ce vendredi ensoleillé, elle, en était sûre. A un coin de rue, un adolescent brandissait un morceau de carton. « Yes, we can », y avait-il écrit. Ils ont pu.
La révolution tunisienne est à la fois courageuse et sage. Ceux et celles qui l’ont faite n’ont eu peur ni des balles de la police ni des exactions de la pègre lâchée dans la rue par les milices du despote déchu. Ils se sont organisés pour y faire face, en citoyens qu’ils sont devenus. Révolution sage aussi. Ceux qui la font ne demandent pas la lune. Ils veulent juste être libres, parler, choisir et congédier leurs dirigeants. Révolution combien moderne, enfin, dont les acteurs et actrices n’aspirent à aucun paradis mais au simple et au plein exercice de leur citoyenneté. Elle s’inscrit dans la lignée des grands mouvements de l’Histoire.
Les premiers pas tâtonnants d’un gouvernement improbable ? La pagaille des nominations et des désistements ? Quelques mouvements de foule alarmants ? Certains se font déjà les Cassandre de dangers qui s’annoncent. Laissons pour une fois parler l’optimisme, ce n’est pas coutume dans la région. On n’a jamais vu de séisme sans ondes de choc. Celui que vient de vivre le pays le plus petit et le plus atypique du Maghreb, d’une ampleur qu’on ne mesure pas encore, a les siennes. Pour l’instant, elles sont sans véritable gravité, normales en somme.
On voudrait que les Tunisiens soient d’emblée des démocrates chevronnés. Depuis plus de cinquante ans, ils se sont vu interdire l’usage de la liberté. Or celui-ci s’apprend. On va certainement voir, dans les prochaines semaines, l’explosion de quelques ego politiques trop longtemps bridés, des alliances de circonstance pour l’accès au pouvoir, des discours démagogiques convoquant les vieux démons du nationalisme et de l’instrumentalisation de la religion. Ceux-là vont peut-être gagner. Peut-être aussi, les Tunisiens ne se laisseront-ils pas confisquer leur conquête par de nouveaux zaïms et commencent à construire sous nos yeux la première démocratie moderne du monde arabe. Les rêves, parfois, peuvent devenir réalité.