L’Iran est endeuillé par une double explosion meurtrière à Kerman, une province dans le sud du pays. Quelles sont les circonstances de l’attaque ?
L’attentat a frappé la foule qui se réunissait à l’occasion du quatrième anniversaire de la mort du général iranien Qassem Soleimani. Le chef de la force al-Qods, la branche extérieure des Gardiens de la révolution chargée de la politique régionale et sécuritaire de l’Iran, avait été abattu par un drone américain en 2020. Il était un symbole nationaliste et politique de la République islamique d’Iran, et une figure très influente du régime de l’ayatollah Khamenei. C’était aussi un héros national pour une partie du pays : Soleimani était perçu par la population comme un véritable rempart contre Daech. Le général avait en effet orchestré la lutte contre l’État islamique en Irak et en Syrie. Commettre un attentat à l’occasion d’une telle célébration est lourd de sens.
Qui pourrait être à l’origine de l’attentat ?
Il faut rester prudent quant à l’identité des auteurs. On note cependant plusieurs similitudes entre cette attaque et les techniques d’opération de Daech : citons notamment l’attentat meurtrier contre un sanctuaire chiite dans le sud de l’Iran en octobre 2022, que l’État islamique avait revendiqué. À première vue, l’attentat qui a touché l’Iran hier visait la population civile plutôt que des responsables politiques. En outre, l’Iran est une république islamique à 90% chiite, courant de l’islam contre lequel Daech, d’inspiration sunnite, entretient une véritable haine : Daech considère les chiites comme des hérétiques.
Des responsables iraniens proches du président Raïssi pointent pourtant déjà la responsabilité de l’État hébreu dans ce double attentat…
La seule chose que l’on puisse dire à ce stade, c’est que cet attentat s’inscrit effectivement dans le contexte de la mort de Saleh Al-Arouri, numéro deux du Hamas et très proche de l’Iran, par une frappe attribuée à Israël. En Syrie, une frappe venue de l’État hébreu a également abattu Seyed Razi Mousavi, général iranien de haut rang, le 25 décembre. Les tensions, déjà explosives dans la région, montent encore d’un cran.
Cette attaque pourrait-elle mener à une escalade du conflit ?
L’Iran est travaillé par des tensions internes. L’ayatollah Khamenei, qui a également condamné l’attentat, joue un rôle d’équilibre entre les différents groupes radicaux en Iran. Ces derniers souffleraient à l’oreille du président depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas que l’Iran devrait s’impliquer davantage. À leurs yeux, ce type d’attentat meurtrier tirerait son origine du manque d’agressivité de la République islamique vis-à-vis d’Israël. Pour autant, si le guide de la Révolution et le gouvernement iranien ont bien conscience de l’extrême tension du contexte régional, ils ne veulent pas d’une guerre ouverte avec Israël et les États-Unis : ils n’auraient rien à y gagner. Dans cette optique, le gouvernement iranien ne changera pas sa ligne de conduite.
L’axe de résistance contre Israël, coordonné par l’Iran, se poursuit : en témoignent les attaques des bases américaines en Irak et en Syrie par des factions proches du régime iranien, les tensions entre le Hezbollah, soutenu par l’Iran, et l’armée israélienne, ou encore les attaques des rebelles Houthis au Yémen. L’Iran fait monter la pression, en signifiant aux États-Unis que si la guerre ne s’arrête pas, le conflit pourra prendre une dimension régionale ; mais la République islamique cherche à éviter le conflit direct. En cela, elle se rapproche de l’attitude du Hezbollah. Hassan Nasrallah, le chef de la puissante milice chiite, soutenue par l’Iran, a vivement condamné la mort de Saleh al-Arouri tué par une frappe attribuée à l’État hébreu le 2 janvier, mais n’a pas annoncé de changement majeur dans sa stratégie attentiste vis-à-vis d’Israël.
Propos recueillis par Jeanne Durieux pour Le Figaro.