Doit-on craindre « un élargissement de la conflagration » comme le redoute le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres ?
Clairement, c’est l’inquiétude qui prévaut. Le fait qu’Israël ait mobilisé les réservistes est un signe de la gravité de la situation. Et c’est une mobilisation massive ce qui signifie que l’Etat-major israélien anticipe un possible conflit d’envergure avec d’autres acteurs, le Hezbollah au Liban ou les milices pro-Iraniennes derrière le plateau du Golan, via la Syrie. Il y a un risque de guerre « multifronts » d’ailleurs anticipé récemment par le ministre de la Défense israélien Yoav Galant. Sans surprise, le Hezbollah a félicité le Hamas pour son offensive. Tout cela est manifestement articulé.
Peut-il y avoir des frappes israéliennes sur l’Iran que beaucoup voient derrière l’offensive du Hamas ?
Cela paraît peu probable dans l’immédiat. D’ailleurs, Israël ne dispose pas encore des avions ravitailleurs américains pour être en mesure de mener une frappe d’envergure sur l’Iran, mais il y aura sans doute d’autres types d’opérations non officielles mais significatives afin d’envoyer des messages de dissuasion, tant sur un plan intérieur qu’extérieur.
Cette attaque du Hamas peut-elle mettre en cause le rapprochement d’Israël avec l’Arabie saoudite ?
Certains considèrent que le calcul du Hamas et, derrière, de Téhéran, est d’entraîner une réponse militaire disproportionnée de la part d’Israël, ce qui hypothéquerait le rapprochement avec l’Arabie saoudite de Mohammed Ben Salman contraint qu’il serait de tenir compte de l’opinion publique arabe en général et saoudienne en particulier qui demeure sensible à la cause palestinienne. Mais on peut se demander si cela va réellement ralentir le processus de « normalisation » en cours. Cela pourrait, par-delà une logique d’affichage soutenant la cause palestinienne, accélérer ce processus de « normalisation » car, pour les pays du Golfe, le déclenchement de cette offensive du Hamas est probablement perçu comme le signe croissant de la menace de déstabilisation iranienne dans la région. Cela pourrait donc être un mauvais calcul du Hamas et, au-delà, du Hezbollah et de Téhéran.
Les Etats-Unis ont d’emblée soutenu Israël mais leur attitude peut-elle évoluer en cas de conflit prolongé ?
Ce qu’il s’est passé est trop grave pour que les Etats-Unis imposent une retenue à Israël. Mais les Américains s’inquiètent d’une déflagration régionale avec l’Iran dont ils ne veulent pas. De fait, on peut douter que cette offensive du Hamas soit une opération simple, soit un coup comme ça. Le Hamas sait ce qu’il fait et a sans doute pensé au coup d’après qui sera induit par la réponse inévitablement massive d’Israël. Cela pourrait impliquer le Hezbollah qui est un acteur majeur de la configuration belligène de la région et qui est supposé détenir plus de 100.000 roquettes et missiles. Dans ce cas, on entrerait dans une logique escalatoire.
Le processus de paix est donc définitivement au point mort ?
Il l’était déjà avant l’offensive du Hamas. Sur ce plan, Benyamin Netanyahou est d’ailleurs en pleine contradiction puisqu’il souhaite assurer l’identité juive de l’Etat d’Israël mais il hypothèque la possibilité d’une solution à deux Etats ce qui revient à intégrer de facto la population palestinienne dans un seul Etat avec une variable démographique défavorable. Cette contradiction a été dénoncée par les partisans de la solution à deux Etats prônée par l’ONU mais ils sont devenus progressivement inaudibles depuis l’échec du plan de paix de Taba proposé en 2001 par Ehud Barak et alors refusé par Yasser Arafat à propos de la question des réfugiés. Depuis il y a eu une « droitisation » marquée de la société israélienne voire une « extrême droitisation » des coalitions gouvernementales comme c’est le cas aujourd’hui. C’est une situation qui paraît inextricable.