Le mouvement "Occupy Wall Street" prend chaque jour plus d’ampleur aux Etats-Unis. Mardi 11 octobre, alors que plusieurs centaines d’Américains entamaient leur quatrième semaine d’occupation au cœur du quartier financier de New York, des manifestations d’indignation avaient lieu dans d’autres villes du pays, dont Washington, Chicago et Los Angeles, pour dénoncer la rapacité du milieu financier, jugé responsable de la crise économique.
Cette mobilisation "sans précédent" dans l’histoire du pays est le signe d’un "profond malaise de la société américaine", estime Nicholas Dungan, spécialiste des Etats-Unis et conseiller spécial à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
Un fort mécontentement est apparu dans la société américaine lorsque le Congrès s’est révélé incapable, en juillet, de s’entendre sur un relèvement du plafond de la dette, nécessaire pour éviter un défaut de paiement des Etats-Unis. Si la loi a finalement été votée le 2 août, quelques heures avant l’ultime limite fixée par le Trésor, les Américains n’ont pas compris cette paralysie des institutions face à une échéance aussi cruciale pour leur pays, et plus largement pour l’économie mondiale. Ils estiment que leurs institutions sont sclérosées, que leurs dirigeants ne les représentent plus et que leur économie n’est plus autant performante, accréditant la thèse d’un déclin des Etats-Unis.
Ce mécontentement s’inscrit par ailleurs dans le cadre plus général d’un profond malaise de la société, alors que le chômage est au plus haut, avec 9,1 % de demandeurs d’emploi, et que les créations d’emplois, insuffisantes, se révèlent incapables de relancer l’économie.
Les anti-Wall Street n’ont pas de revendication concrète, si ce n’est être écoutés. Ils représentent un large éventail de la population, à savoir des femmes et des hommes de tout âge et de toute profession, les 99 % de la population comme ils disent, qui ne tolèrent plus la corruption du 1 % restant, c’est-à-dire les dirigeants politiques et les milieux d’affaires.
Ils occupent donc les centres financiers des grandes villes américaines pour protester contre l’establishment, et l’incapacité des secteurs public et privé à faire de la politique et à créer des emplois. Ils souhaitent des institutions plus fonctionnelles et qui remettent l’Américain moyen au centre du débat politique.
Plus largement, les anti-Wall Street se revendiquent aussi d’un mouvement plus général d’indignation, qui veut effectuer un changement global de société, plus égalitaire et plus participative, à l’image des révoltes dans les pays arabes, en Espagne, en Grèce ou en Israël.
C’est un phénomène extraordinaire. Ces centaines d’Américains qui sont descendus dans la rue, spontanément et sans agenda particulier, pour manifester leur mécontentement, représentent une nouvelle forme d’engagement politique, qui tranche avec une tradition individualiste très marquée. Pour une fois, un groupe se réclame de l’intérêt général et non d’intérêts particuliers habituellement représentés par les différents partis et associations. Les Etats-Unis n’avaient jamais connu une telle mobilisation depuis le village de tentes dressé à Washington pendant la Grande dépression, sous le président Herbert Hoover.
La presse américaine a comparé l’émergence des anti-Wall Street au mouvement du Tea party, qui rassemble des citoyens mécontents des institutions. Mais en réalité, ces deux mouvements sont très différents : le Tea Party est un mouvement politique, très ancré à droite, qui organise des rallyes et des discours davantage que des manifestations ou des occupations de lieux. Au contraire, "Occupons Wall Street" s’apparente à un mouvement grass roots (de la base), populaire, et apolitique.
Oui, je pense qu’il pourra se maintenir et même prendre de l’ampleur, à condition qu’il se réinvente. Il pourrait ainsi choisir de se transformer en parti politique ou de se rapprocher d’un parti existant. Mais ce choix pourrait aussi bien le légitimer que le délégitimer.
Dans tous les cas, tant les démocrates que les républicains devront composer avec lui. Déjà, aujourd’hui, le parti démocrate s’est exprimé en faveur des anti-Wall Street. Et il y a une semaine, les syndicats, puissants et riches aux Etats-Unis, ont rejoint le mouvement, lui permettant ainsi de tenir plus longtemps.
Si, au final, on n’aura certainement pas de Mai 68 aux Etats-Unis, faute d’une vraie culture de la mobilisation et d’un manque de concentration des mobilisations dans une seule ville, le mouvement devrait certainement déboucher sur des changements dans le fonctionnement des institutions.