Durant son interview télévisée du lundi 24 juillet, Emmanuel Macron a évoqué l’influence «de plus en plus forte » de la Chine en Nouvelle-Calédonie, où il se trouve en déplacement. Pourquoi le chef de l’État a-t-il, même brièvement, pointé du doigt la présence chinoise ?

Je pense que c’est lié à un constat : la Chine est de plus en plus présente dans la région du Pacifique depuis la fin des années 1990. Au moment même où la France a abandonné ses essais nucléaires en Polynésie française, puis a largement délaissé cette région. La nature ayant horreur du vide, la Chine a développé tous azimuts des relations avec nombre d’États de l’Océanie.

Cette expansion de la Chine laisse entrevoir, à terme, un risque pour la France d’être de plus en plus marginalisée au profit des intérêts chinois. Même s’il faut, je crois, relativiser cette crainte car les populations constatent progressivement les dangers d’une alliance avec la Chine. À l’image du Sri Lanka qui est tombé dans le piège du surendettement.

Quels intérêts représentent la Nouvelle-Calédonie pour la Chine ?

Diverses ressources qui composent ce territoire ultra-marin attirent l’attention de la Chine. Il y a tout d’abord le nickel, extrêmement important pour les industries du futur dans le domaine de l’aéronautique et de la défense. Le pays d’Asie cherche à diversifier ses approvisionnements en nickel, aussi essentiels que l’uranium par exemple.

Dans une volonté de se désenclaver, la Chine convoite plus largement toute la zone maritime, qui fait de la France la deuxième puissance maritime du monde. On y retrouve les ressources halieutiques bien sûr, sachant que la Chine est le plus gros consommateur de poissons au monde. Sans oublier les ressources qui ne sont pas encore exploitables pour des raisons techniques, mais qui pourraient l’être dans les années à venir, comme les nodules qui se trouvent au fond des océans.

Tout cela confirme à la France une situation exceptionnelle et enviable, y compris sur le plan géostratégique. La Nouvelle-Calédonie se trouve au cœur du Pacifique, donc des voies de passages qui sont nécessaires notamment pour l’acheminement du lithium exploité par les Chinois en Amérique du Sud. Au-delà des seules positions françaises, se pose aussi la rivalité des «deux Chines», la Chine et Taïwan, qui a étendu son influence dans quatre îles du Pacifique.

Le projet chinois des nouvelles routes de la soie s’oppose par ailleurs au projet européen auquel a souscrit Emmanuel Macron, le projet du Global Gateway. À travers ce programme, l’objectif de l’Union européenne est de répondre précisément à cette concurrence.

Comment la Chine s’impose-t-elle concrètement sur le terrain ultra-marin ?

Tout d’abord, le discours chinois séduit les populations autochtones, caldoches ou polynésiennes qui se vivent encore comme colonisées. Même si les non-indépendantistes semblent avoir été majoritaires dans les votes des référendums, qui ont confirmé la Nouvelle-Calédonie comme territoire français, les indépendantistes refusent de le reconnaître. Cette situation de statu quo est assez dangereuse et peut profiter aux Chinois.

Les Calédoniens sont par ailleurs fascinés par la réussite économique de la Chine. Très pauvre il y a encore 40 ans, ce pays est aujourd’hui la deuxième puissance économique du monde. Le modèle chinois qui ne dit pas son nom est la clé du succès. Néanmoins, il est confronté à des problèmes économiques majeurs puisque 20% des 18-25 ans sont au chômage. Les gens commencent donc à réfléchir et à poser un regard plus critique sur la situation, notamment sur l’image de Xi Jinping comme dictateur qui n’hésite pas à purger son entourage, l’armée et la diplomatie.

Ainsi, la Chine compte beaucoup sur la diaspora chinoise comme moyen de pression et de levier d’influence en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie Française. Cette population chinoise s’y est établie à partir du XIXe siècle, parfois venue du Vietnam au rythme des périodes de la colonisation française. Il y a encore 20 ans, la majorité de cette diaspora était plutôt acquise à Taïwan. Désormais, elle présente une grande sensibilité au discours de Pékin.

L’influence des partis indépendantistes locaux est également importante. Si nous n’avons pas la preuve formelle que la Chine les subventionne financièrement, ces élites politiques sont ouvertement invitées à Pékin pour des colloques internationaux par exemple. Toute sorte de facilités en nature qui permettent de se concilier avec les populations locales.

Peut-on parler d’ingérence ?

Le mot est fort. S’il y avait ingérence au sens juridique du terme, il y aurait violation de la souveraineté française. Or, ce n’est pas le cas. En revanche, il est clair que certains États ont choisi leur camp. À l’instar des îles Salomon qui ont signé des accords sécuritaires en 2022. Quand vous regardez la carte, ces îles se trouvent entre la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Nous pourrions craindre ce que les stratèges appellent la « stratégie du lotus » : la Chine s’implante dans un lieu central, les pétales du lotus finissent par éclore et essaiment leur pouvoir d’influence sur les régions périphériques.

Nous pourrions craindre ce scénario, sauf s’il y a un sursaut français et européen dans cette région vitale pour l’économie mondiale et les intérêts occidentaux. Mais à mon avis, ce n’est pas avec Emmanuel Macron que nous aurons ce genre de déclarations ou de décisions.

Quelle est donc la stratégie de la France pour faire face à cette Chine ?

Elle propose un contre modèle à celui de la Chine. Emmanuel Macron veut protéger la biodiversité dans une logique de polyculture alors que Xi Jinping mène une politique de destruction massive des forêts. Le président français veut diversifier les cultures calédoniennes afin de limiter la dépendance des populations envers la métropole, mais aussi dans un but économique. De ce point de vue là, c’est une façon intelligente de s’opposer à la Chine sans jamais le dire explicitement.

La France a par ailleurs une volonté d’accompagner les populations locales, encore meurtries par les essais nucléaires, et d’être exemplaire contrairement à la Chine, voire les États-Unis. Il faut tout de même saluer que c’est la première fois qu’un président de la Ve République conçoit la France comme un archipel.

Ce voyage présidentiel en Nouvelle-Calédonie envoie donc un symbole fort. D’autres populations et élites dirigeantes d’autres pays, notamment Taïwan, vont ainsi observer très attentivement cette visite. L’intérêt porté par Emmanuel Macron pour ces régions va forcément avoir un écho positif à Taïwan. Toutefois, il est encore trop tôt pour connaître les conséquences sur la Nouvelle-Calédonie, mais de toute évidence, ce voyage aura un impact.

 

Propos recueillis par Clara Hidalgo pour Le Figaro.