• Par [Karim Pakzad->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=pakzad], chercheur associé à l'IRIS

Si les Occidentaux vont retirer leurs troupes d’Afghanistan, c’est d’abord parce que la victoire paraît impossible.

La mort de six soldats français en Afghanistan à la veille de la fête nationale a suscité une réelle émotion dans l’opinion. Cette mort est également une véritable victoire symbolique et psychologique pour les insurgés. Contribuera-t-elle pour autant au débat sur la pertinence de l’engagement français en Afghanistan ? Les premières déclarations du gouvernement et de l’opposition semblent à tout le moins aller dans ce sens. La stratégie de sortie n’est pas encore identifiée clairement mais la question du retrait est posée. Le 23 juin, Barack Obama a dressé un calendrier, préconisant le retrait d’un tiers des soldats, soit plus de 30 000 hommes d’ici à la fin de 2012, pour l’achever fin 2014, suivi immédiatement par la France.

Est-il vraiment temps de "savoir finir" cette guerre ? Barack Obama le pense. Pour lui, la mort de Ben Laden était la priorité centrale des Etats-Unis dans la "guerre contre le terrorisme". C’était peut-être vrai en 2001, mais depuis plusieurs années Ben Laden était devenu quasiment inopérant en Afghanistan. Les sources américaines chiffraient d’ailleurs à une centaine seulement le nombre de ses partisans en Afghanistan en 2010. Selon le sénateur républicain Richard Lugar, "Al-Qaeda est largement affaibli dans le pays […], l’Afghanistan n’a pas de valeur stratégique qui justifie la présence de 100 000 soldats américains et 100 milliards de dollars de dépense annuelle". La mort de Ben Laden n’a d’ailleurs eu aucune incidence sur la guerre. La vraie raison est que, après plus de dix ans d’enlisement, une victoire militaire en Afghanistan, ce "royaume d’insolence", paraît impossible.

Cependant, la France et les Etats-Unis peuvent-ils réellement s’en tenir au calendrier qu’ils ont fixé sans laisser le pays aux mains des talibans, plus radicalisés aujourd’hui qu’en 2001 ? Deux arguments, d’une efficacité douteuse, ont été avancés pour justifier la stratégie de sortie : l’afghanisation de la guerre et la réconciliation entre les Afghans. Or le gouvernement de Kaboul reste faible. Sans véritable assise, il est disqualifié par son incapacité à assurer la sécurité et à combattre la corruption et le trafic de la drogue, dans lequel sont impliqués les plus hauts responsables. Ensuite, l’armée afghane n’est actuellement pas capable d’assurer la sécurité et rien ne permet de croire qu’elle le sera dans deux ans. Elle est à l’image de la société afghane et infiltrée par les insurgés. Enfin, les talibans refusent de discuter avec le régime de Kaboul, qu’ils considèrent illégitime. Ils attendent le retrait des soldats étrangers pour regagner le pouvoir perdu. D’ailleurs, on ne peut garantir qu’une réconciliation soit possible avec les talibans tant ils suscitent l’hostilité d’une majeure partie de la population.

On oublie enfin le rôle des pays voisins, notamment ceux de l’Iran et du Pakistan, dans la recherche de la paix en Afghanistan. La stratégie vis-à-vis du Pakistan, pays incontournable en Afghanistan, souffre d’incohérence. Il est évident, sinon admis, que ce pays n’a pas les mêmes intérêts que les Etats-Unis en Afghanistan. Il paraît aussi logique que le Pakistan s’impliquera peu dans la recherche de la paix en Afghanistan si ses intérêts en matière de sécurité ne sont pas pris en compte en Afghanistan ou face à l’Inde, vis-à-vis de laquelle il se sent fragile. Il est soumis à toujours plus de pressions ou de sanctions contre-productives. Avons-nous le temps de repenser cela d’ici à deux ans ? On peut en douter.