• Interview de [Pascal Boniface->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=boniface], directeur de l’IRIS, par Pascal Claude

Le journaliste de la RTBF Pascal Claude s’est entretenu avec Pascal Boniface, le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques, à propos des grandes échéances électorales qui jalonneront l’année 2012 au niveau international: Etats-Unis, France, Russie, pays arabes,… l’année à venir sera pleine rythmée par les scrutins.

2012 sera synonyme d’élections aux Etats-Unis, en France et en Russie, essentiellement. Avant de nous arrêter dans ces pays, une première question plus générale. Est-ce que, globalement, c’est la crise économique qui va piloter, dicter le déroulement des campagnes pour ces élections ?

Bien sûr, les aspects économiques et sociaux ont toujours été déterminants dans le choix des dirigeants, et ce n’est pas nouveau. Cela a toujours été sauf, bien sûr, en période de guerre ou de crise très profonde. Et donc, la crise économique dans laquelle nous sommes plongés va accentuer ce phénomène mais elle ne va pas réellement le créer.

Cela ne va pas être, malgré tout, le thème-clé ?

Le thème-clé, c’est la confiance dans les dirigeants. Et on voit un peu partout dans le monde qu’il y a de plus en plus de lutte contre la corruption, aussi bien, d’ailleurs, dans les pays démocratiques que dans les pays qui sont encore autoritaires. Le thème de la lutte contre la corruption est beaucoup plus sensible puisque les citoyens sont beaucoup plus sensibles au thème de la corruption quand le système ne fonctionne pas. Quand le système fonctionne, cela passe un peu mieux.

Alors, allons d’abord aux Etats-Unis. Pas de suspens côté démocrate : le candidat à la présidentielle sera Obama. En revanche, dans le camp des républicains, les jeux sont loin d’être faits. Le processus des primaires vient de débuter. Mitt Romney a emporté de justesse un scrutin organisé dans l’Iowa cette semaine. Mardi, deuxième rendez-vous dans le New-Hampshire, où Mitt Romney est, là aussi, donné vainqueur. A côté des fondamentalistes chrétiens et autres qui veulent réduire le rôle et le poids des structures de l’Etat. Est-ce que Mitt Romney, finalement, n’est pas le candidat qui semble être le moins radical ?

Oui, effectivement. Il a déjà pris un petit avantage dans l’Iowa, il devrait le confirmer. Et donc, sans préjugé du résultat final, il semble bien parti parce qu’il a éliminé les candidats qui semblaient lui faire le plus d’ombre, notamment, au départ, Michele Bachmann, et, en même temps, Newt Gingrich. Michele Bachmann a abandonné. Newt Gingrich est en difficulté. Donc il semble bien parti pour remporter cette primaire et, en même temps, il est modéré uniquement par rapport à ses adversaires, parce que son programme en relations internationales est encore plus radical que ne l’était celui de George Bush fils lorsqu’il s’est présenté aux élections. Donc il y a vraiment une dérive plus que droitière chez des candidats républicains, dont le programme, aussi bien sur le plan intérieur que sur le plan international, peut laisser rêveur ou plutôt même effrayer sur bien des points.

Mitt Romney promet que les républicains feront bloc pour faire face à Obama. Vous y croyez ?

Lui a intérêt à le promettre parce que, s’il est désigné, il a intérêt à ce que les candidats qu’il aurait battus le soutiennent. Et ensuite, il faudra voir si le caractère radical de ses positions, qu’il prend pour gagner la primaire républicaine, sera exportable devant l’ensemble du corps électoral américain.

En France, dans un dernier sondage, 7 Français sur 10 estiment que le bilan de Nicolas Sarkozy, après plus de 4 ans à l’Elysée, est négatif. Les Français sont sévères avec leur président. Comment Nicolas Sarkozy peut-il s’y prendre pour renverser la tendance ?

Effectivement, il part avec un retard qui n’a jamais été vu pour un candidat ou un président-candidat qui, ensuite, a gagné le scrutin. Donc, le retard dont Nicolas Sarkozy pâtit dans les sondages par rapport à son principal challenger, François Hollande, semble à ce jour irrattrapable. Que va faire Nicolas Sarkozy ? Il va accentuer, il va jouer sur sa stature –c’est sa stratégie-, sur sa stature d’homme d’Etat, sur l’homme qui fréquente Obama, David Cameron. Il va essayer également de mettre en avant son bilan international. Le problème, c’est que, bien sûr, la crise n’a pas complètement défait l’euro, mais la France risque de perdre son triple A. La réforme de la gouvernance internationale n’a pas été faite. Nicolas Sarkozy annonce une mesure, qui est populaire en France mais qui semble un peu tardive, de créer une taxation internationale. Il peut aussi mettre en avant son bilan sur la Libye, sauf si des troubles surgissaient en Libye d’ici le mois de mai. Donc, l’affaire semble moins mal engagée pour Nicolas Sarkozy. Il faudrait que François Hollande tarde à prendre son envol ou fasse une grosse bévue pour qu’il puisse le rattraper.

Et est-ce que François Hollande pourrait, lui aussi, marquer des points sur la scène internationale pendant cette campagne ?

En tout cas, il ne peut qu’en marquer parce qu’il sort avec un déficit assez important. Lorsqu’il était premier secrétaire, François Hollande n’a pas marqué un goût prononcé pour les affaires internationales. Une fois encore, les Français, comme les autres peuples, vont avant tout voter pour les aspects économiques, pour les aspects sociaux. Quel est l’homme ou la femme qui leur paraitra les mieux protégés de la crise ? Mais François Hollande doit prendre de la hauteur parce que les Français sont également très attachés au rôle de leur pays dans le monde, à une sorte de statut non pas de grande puissance mais de puissance qui compte, et donc il faut quand même que François Hollande sache incarner la France et puisse montrer aux Français qu’il est capable de les représenter, d’avoir la hauteur de vue mondiale que les Français attendent de leur président.

Allez, nous allons en Russie, avec l’élection présidentielle de mars prochain. Ces dernières semaines, la population a rompu le silence et a, en masse, contesté les résultats des élections législatives. Est-ce que la rue pourrait empêcher Vladimir Poutine de redevenir président ?

Non, parce qu’il y a effectivement une très forte contestation que l’on ne connaissait pas en Russie : on peut dire que le charme de Poutine, le fait qu’il est revenu sur les années noires de la Russie qui ont été les années Eltsine de crise économique profonde, de manque de confiance, de dépassement du statut international de la Russie ; tout ceci a été effacé pendant les deux premiers mandats de Poutine et le mandat de Medvedev. Et en même temps, les Russes, comme les autres peuples, ne veulent pas avoir le même dirigeant pour 20 ans. Donc, ils ont envoyé un message de protestation et puis aussi un message de réveil de la société civil, ou d’éveil peut-être de la société civile russe. Mais, simplement, en face de Poutine, il n’y a pas grand monde. Le leader communiste Ziouganov est, lui-même, un homme du passé -il est candidat depuis les années ’90- ; ainsi que le leader ultra-nationaliste Jirinovski. Et d’ailleurs, ces deux adversaires sont aux antipodes. Donc, la grande chance de Poutine, c’est qu’il n’a pas, pour le moment, d’alternative crédible. Il peut être contesté dans la rue, ce qu’il est ; mais il n’y a pas, en face de lui, un homme qui puisse incarner, là aussi, la Russie aux yeux du monde et aux yeux des Russes.

Des élections auront lieu aussi cette année encore dans les pays arabes qui ont renversé leur dictateur en 2011. Est-ce que 2012, à votre avis, sera l’année de la démocratie dans le monde arabe ?

C’est l’année de la démocratie partout : non seulement dans le monde arabe, il y aura une demi-douzaine de scrutins en Afrique. On voit que la démocratie progresse partout et que la démocratie progresse également dans les pays autoritaires. Il n’y a plus qu’un seul régime totalitaire sur la surface de la planète : c’est la Corée du nord. Partout ailleurs, les opinions se font de plus en plus entendre.