Présidentielle en Algérie : le changement attendra

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  • Brahim Oumansour

    Brahim Oumansour

    Chercheur associé à l’IRIS, directeur de l’Observatoire du Maghreb

Le premier tour de l’élection présidentielle algérienne s’est tenu le 7 septembre 2024, cinq ans après le mouvement protestataire du Hirak. Dans quel contexte politique et social s’est inscrit ce scrutin ? Quel était l’enjeu de cette élection pour le président Abdelmajid Tebboune ? 

La présidentielle algérienne de ce samedi 7 septembre s’est conclue par la réélection d’Abdelmadjid Tebboune pour un second mandat, avec un score de 94,65 %, face à deux candidats : Abdelaali Hassani du parti islamiste, le Mouvement de la société pour la paix (MSP) et Youcef Aouchiche, du Front des forces sociales (FFS), qui ont récolté respectivement 3,17 % et 2,16 % selon les résultats annoncés par l’Autorité nationale indépendante des élections.

À vrai dire, la réélection d’Abelmadjid Tebboune était très attendue. L’enjeu principal de ce scrutin est le taux de participation par lequel le président Tebboune souhaitait renforcer sa légitimité et celle du système, sérieusement détériorée depuis le Hirak. Pourtant, malgré le score élevé obtenu par le président, l’élection a enregistré un taux d’abstention record, qui s’élèverait à 76 %, plus important que celui de 2019. Cela traduit un manque d’engouement pour une présidentielle qui est, pour beaucoup d’Algériens et d’Algériennes, jouée d’avance, et qui s’est déroulée dans un climat politique tendu marqué par la répression contre des journalistes et des militants. Il faut rappeler que les autorités ont verrouillé l’espace politico-médiatique en réaction au mouvement de protestation (Hirak) qui s’est déclenché en février 2019 contre le cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika et qui, par extension, revendiquait un changement du système politique algérien. La participation des deux partis les mieux structurés du pays, le FFS et MSP, n’a pas séduit non plus.

De plus, l’Autorité nationale indépendante des élections (Anie), créée en 2019 principalement pour donner de la crédibilité au scrutin, a au contraire rajouté du doute sur la transparence du processus électoral par sa gestion chaotique de la présidentielle. Le flou et les contradictions des chiffres annoncés en est l’exemple, contestés d’ailleurs par les trois candidats, y compris Abdelmadjid Tebboune qui sort vainqueur.

Au niveau économique et social, la situation est plutôt positive grâce à une dynamique économique portée principalement par la flambée des cours énergétiques depuis le début de la guerre en Ukraine. Cela a permis à l’État algérien de finaliser quelques projets de logements et de mettre en place des mesures sociales comme l’instauration d’une allocation chômage. En revanche, l’inflation, autour de 10 %, fragilise énormément le pouvoir d’achat, notamment les classes moyennes et les couches populaires.

Quelle place occupait la diaspora algérienne, notamment française, dans le discours d’Abdelmajid Tebboune et des autres candidats ? 

La diaspora algérienne est estimée à environ 7 millions de personnes, résidant principalement en France. Elle compte aujourd’hui des cadres hautement qualifiés sortis de grandes universités et écoles en France ou en Amérique du Nord. Le taux de participation annoncé par l’Anie est autour de 20 %. Un taux qui correspond à celui recensé sur le territoire algérien.

Longtemps délaissée, le président Tebboune a affiché un intérêt particulier vis-à-vis de la diaspora durant son premier mandat, visant en faire un levier de développement économique du pays et dans ses relations avec la France et autres partenaires.

À ma connaissance, seuls les soutiens du président sortant s’étaient mobilisés en France et avaient organisé des meetings dans plusieurs villes en métropole : Marseille, Lyon, Paris, Lille, etc. Mais il n’y a eu aucun déplacement des candidats vers la France. En Algérie non plus il n’y avait pas eu beaucoup de déplacements des candidats d’ailleurs. La campagne électorale était quasi-nulle sur le territoire algérien, avec très peu de meetings et d’un niveau médiocre.

La diaspora algérienne partage, dans sa grande majorité, le sentiment de lassitude et de déception vis-à-vis du pouvoir qui peine à réformer le système politique et économique du pays.

Quel impact la reconduction au pouvoir de Abdelmajid Tebboune peut-elle avoir dans la politique étrangère de l’Algérie, notamment au regard de l’intensification des tensions avec Rabat et Paris à la suite de la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ? 

La reconduction au pouvoir de Abdelmadjid Tebboune lui impose de tirer les leçons du passé et de réfléchir à la refonte d’une politique étrangère apte à faire face aux différents défis. L’Algérie évolue dans un environnement régional très instable et qui a connu récemment des développements qui constituent une menace pour le pays et contribuent à son isolement. Malgré l’ambition affichée et son activisme diplomatique ces cinq dernières années, Alger n’a pas réussi à imposer sa feuille de route. D’abord, l’Algérie est impliquée dans le dossier du Sahara occidental par le soutien du Front Polisario qui revendique le droit à l’autodétermination de ce territoire anciennement sous domination espagnole. Or, depuis une dizaine d’années, le Maroc cumule des succès diplomatiques avec une série de reconnaissance de sa souveraineté qui culmine par celle de Donald Trump en décembre 2020, alors en fin de mandat de la présidence des États-Unis. D’autres événements, comme l’affaire d’espionnage Pegasus, ont contribué à l’escalade des tensions entre Alger et Rabat qui ont culminé dans la rupture diplomatique entre les deux pays. Cela se poursuit par le revirement de l’Espagne lorsque le Premier ministre, Pedro Sánchez, annonce dans un courrier adressé au souverain marocain, son soutien au plan d’autonomie du Sahara occidental sous souveraineté marocaine, provoquant ainsi des tensions avec Alger qui a suspendu le traité d’amitié entre les deux pays et bloqué l’importation de produits espagnols pendant plusieurs mois. Cela n’a pas empêché le président français Emmanuel Macron d’en faire autant le mois d’août dernier, avec le même procédé que son homologue espagnole. Alger a riposté par le retrait de son ambassadeur à Paris et la suspension de quelques conventions de coopération. Paris craint que des mesures plus drastiques soient prises par Alger après les élections, à savoir des blocages au niveau de l’importation de produits français, rappelant qu’il y a environ 450 entreprises françaises en Algérie.

De plus, l’Algérie s’inquiète de l’arc de crises qui s’est développé à ses frontières marqué par la présence d’acteurs étrangers plus agressifs et plus actifs, principalement, Israël, les Émirats arabes unis, la Turquie et la Russie, via le groupe paramilitaire Wagner. Cela bouscule profondément sa doctrine non interventionniste. Cela est notamment perceptible depuis le dernier coup d’État au Mali, qui a porté au pouvoir Assimi Goïta. Celui-ci vise à reprendre la main sur le nord-Mali par la force des armes contre les groupes rebelles Touaregs, avec le soutien du groupe paramilitaire Wagner. Après avoir poussé l’armée française hors du sol malien, Bamako a lancé une offensive militaire au nord et en janvier 2024, Assimi Goïta a dénoncé l’accord d’Alger de 2015 et critiqué la diplomatie algérienne.

De même, en Libye, le Maréchal Khalifa Haftar a positionné récemment ses hommes au Sud-ouest libyen (Ghadamès), aux frontières algériennes. Cela laisse planer le doute sur des velléités de Haftar pour une nouvelle offensive sur le Gouvernement d’unité nationale à Tripoli. Alger s’inquiète donc d’un nouvel embrasement régional à sa frontière.

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