Notes / Observatoire de la sécurité des flux et des matières énergétiques
9 décembre 2020
Les stratégies nucléaires civiles de la Chine, des États-Unis et de la Russie
Face à la profusion d’études portant sur les dynamiques géopolitiques des hydrocarbures, l’énergie nucléaire fait pâle figure. Deux biais nous ont rendus aveugles à ces enjeux. D’une part, la prépondérance des questions de prolifération a largement invisibilisé les autres formes d’utilisation politique du nucléaire civil. D’autre part, la transposition des modes de raisonnement venant de l’analyse du pétrole et du gaz a faussé nos interprétations. Reposant sur une matière première, l’uranium, dont la répartition à l’échelle mondiale est perçue comme mieux distribuée que les hydrocarbures et dont la densité énergétique permet de constituer facilement des stocks stratégiques, le nucléaire a été faussement perçu comme une énergie présentant moins de risques d’approvisionnement. Cette lecture tend à oublier que les centrales ne consomment pas d’uranium, mais des assemblages fortement transformés par des étapes portant chacune leurs propres enjeux. Qui plus est, cette approche focalisée sur les ressources néglige le poids des réacteurs dans les caractéristiques géopolitiques de l’électronucléaire.
Les enjeux sécuritaires du nucléaire civil ont été mis en lumière par les transformations que traverse aujourd’hui la filière. En juin 2020, 413 réacteurs commerciaux étaient en fonction dans 31 pays, produisant 10,15% de l’électricité mondiale. Si l’Europe et l’Amérique du Nord restent les espaces les plus nucléarisés, c’est vers l’Asie, l’Afrique, l’Amérique du Sud et le Moyen-Orient que se trouvent les principaux relais de croissance du marché. Il faut ici bien séparer le cas des États déjà équipés renforçant leur parc de réacteurs, à l’image de la Chine et de l’Inde, de celui des nouveaux entrants dans le club, tels que le Bangladesh, la Turquie et les Émirats arabes unis, et des pays ayant exprimé l’ambition de le faire à plus long terme. Parallèlement, et en dépit du regain d’intérêt pour la filière affiché par l’administration de Donald Trump, les fournisseurs historiques de technologies nucléaires nord-américains et européens ont été mis en forte difficulté par leurs concurrents russes et chinois. Rosatom en Russie, ainsi que CNNC, SPIC et CGN en Chine bénéficient du soutien financier de leurs gouvernements respectifs ainsi que d’un appui politique tant sur leur marché domestique qu’à l’international…