Le Sommet des Amériques à Los Angeles, déboussolé par le pays hôte

5 min. de lecture

 

Du 6 au 10 juin 2022, les États-Unis accueillent en Californie le neuvième sommet des Amériques. Le sommet fondateur avait été organisé à Miami en 1994. Avant de revenir aux États-Unis, ces rencontres continentales ont parcouru les Amériques, d’Argentine à Panama, en passant par le Chili et la Colombie. Ces sommets rassemblent de façon informelle, avec un agenda commun, les 35 pays membres de l’OEA, qui en assure le secrétariat. Le IXe sommet ne fait pas exception. Intitulé « Construire un futur durable, résilient et équitable », il doit traiter d’environnement, de réponses à la pandémie, et de politiques sociales. Autant de sujets transversaux qui « concernent tout le monde » a précisé dans une tribune, Brian Nichols, chargé des Amériques au gouvernement des États-Unis[1].

Mais comme on le constate une fois encore, à Los Angeles, il y a loin de la théorie à la pratique. En effet, Cuba a dû attendre le septième sommet, à Panama, en 2015, pour avoir son billet d’entrée. Le Venezuela a été privé d’invitation en 2018. Et cette fois-ci, Cuba, le Nicaragua et le Venezuela, sont en passe de rester à la maison. Ces présences en accordéon reflètent l’ambigüité mouvante des relations entre Nord et Sud de « l’hémisphère occidental ». Elles mettent le doigt sur une plaie toujours ouverte, faute d’ordonnance appropriée : ces sommets reposent-ils sur un projet de coopération intergouvernementale, abordant des sujets transversaux, indépendants des orientations idéologiques des pays participants ? Ou ont-ils pour vocation d’imposer aux participants un droit d’entrée conditionné par leur acceptation d’une partition écrite par les États-Unis ?

Le « la » dès le départ, avait été sonné par Washington, alors puissance mondiale incontestée, puissance majeure des Amériques. La guerre froide terminée, l’URSS enterrée, les États-Unis avaient lancé une opération de séduction en direction de leurs voisins. George Bush père avait effectué une tournée latino-américaine inédite en 1991 pour proposer à tous une nouvelle alliance, de l’Alaska à la Terre de Feu, avec une double argumentation. Premièrement, nous avons tous en partage, du Canada au Chili, une histoire de combats contre les colonisateurs du « vieux continent ». Ces pays aujourd’hui regroupés en Communauté européenne menacent notre commerce. Deuxièmement, nous devons ensemble, nous garder, côté Ouest, des ambitions asiatiques croissantes, japonaises à l’époque. Ce dénominateur commun était décliné en deux temps. L’un était économique, l’Accord de libre-échange des Amériques. L’autre était un volet diplomatique, baptisé sommet des Amériques. Tous deux avaient été initiés par le successeur de George Bush, Bill Clinton.

La suite aura été un long « Chemin de croix ». La bonne tenue de route des sommets a été progressivement minée par les coups de volant de la Maison-Blanche, régulièrement freinés par les Latino-Américains. Torpillée par les gouvernements progressistes latino-américains, la ZLEA, ou Zone de Libre-échange des Amériques a sombré, corps et âme, en 2005, au quatrième sommet de Mar del Plata. Au sixième, à Carthagène, en 2012, une nouvelle levée de boucliers avait menacé la pérennité de ces rencontres. Une majorité exigeait des États-Unis, la présence de La Havane. Barak Obama avait cédé. Cuba avait été invitée aux septième et huitième sommets.  Et, cerise sur le gâteau, les États-Unis avaient rétabli en 2014 les relations diplomatiques rompues en 1961.

Le président Biden aurait souhaité un sommet de Los Angeles répondant aux critères libéraux qui sont les siens. Et donc mettre les Amériques au diapason des bons et mauvais points attribués aux acteurs de la guerre européenne engagée en Ukraine par la Russie. Donner donc à Los Angeles un droit d’entrée à ceux qui sont dans le camp du droit et des libertés. Fermer la porte à Cuba, au Nicaragua et au Venezuela, mauvais élèves en démocratie, de surcroît amis de la Russie.  Mais cette mise en cohérence, aux allures de cactus, aura été difficile à manier. Les chefs d’État du Brésil, et du Salvador, aux pratiques démocratiques incertaines ont été invités. Pétrole oblige, le méchant Venezuela sous le coup de sanctions destinées à remettre le pays sur la voie des libertés a été approché par les États-Unis. Pour livrer le pétrole que les États-Unis ont décidé de ne plus acheter à la Russie, placée sur le banc d’infamie de la société internationale. Il n’a pourtant pas été invité à Los Angeles. Circonstance aggravante Washington a annoncé le 23 mai, participer à une entente commerciale, avec plusieurs pays asiatiques aux mœurs pour certains peu démocratiques [2]. Enfin, le contexte des législatives nord-américaines de mi-mandat pèse sur la non-invitation de Cuba. Tel l’âne de Buridan, le premier magistrat des États-Unis est pris entre les demandes des anti-castristes, et les attentes des familles cubaines émigrées aux États-Unis qui souhaitent apaisement et levée des sanctions.

Plusieurs pays d’Amérique latine critiquent un deux poids deux mesures nord-américaines, alternant haute morale, et défense d’intérêts terre à terre. Plusieurs gouvernements ont menacé de ne pas y assister si les États-Unis maintenaient Cuba, le Nicaragua et le Venezuela hors Sommet. La Bolivie, le Guatemala, le Honduras et le Mexique ont multiplié les mises en garde. D’autres chefs d’État seront bien là, mais ont fermement condamné l’exclusion de trois États, membres de l’OEA. L’Argentine, le Chili sont dans ce cas de figure.

Le Département d’État s’agite et s’est lancé dans une opération, « marchands de tapis ». Joe Biden a téléphoné au président argentin, Alberto Fernandez, qui aura droit à un entretien particulier à Washington le 25 juillet. Un notable du PRI mexicain, emprisonné aux États-Unis, vient quant à lui d’être extradé vers le Mexique. L’infréquentable Jair Bolsonaro, a obtenu lui aussi, une audience avec Joe Biden, à Los Angeles. Résultat de ce parcours diplomatique brownien, le 1er juin, à cinq jours de l’ouverture de la conférence, « les États-Unis n’ont toujours pas rendu publique la liste des participants »[3].

« Qui trop embrasse, mal étreint », rappelle un vieux dicton. Qui a peut-être inspiré ce commentaire publié par le Los Angeles Times le 31 mai, « le sommet sera un sommet pour rien ».

 

__________________________

[1] Brian Nichols, « Cumbre de las Américas 2022 », in El Sol de México, 3 juin 2022

[2]IPEF, Cadre économique Indo-Pacifique de Prospérité (Australie, Brunei, Corée du Sud, États-Unis, Inde, Indonésie, Japon, Malaisie, Nouvelle Zélande, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam)

[3] In Miguel Jiménez, El País, 1er juin 2022