Entretiens / Moyen-Orient / Afrique du Nord
19 octobre 2018
L’Afghanistan à l’épreuve des élections
Des élections législatives auront lieu le 20 octobre en Afghanistan avec trois ans de retard sur le calendrier initial. Les talibans refusent toujours de reconnaître le gouvernement afghan, qu’ils jugent « illégitime », et souhaitent s’entretenir directement avec Washington. Quels sont les enjeux de ces négociations ? Quel rôle exercent toujours les États-Unis dans la pacification du territoire afghan ? Que peut-on attendre de l’élection présidentielle prévue au printemps 2019 au vu des conditions délétères que connaît l’Afghanistan ? Le point de vue de Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS.
Quels sont les principaux enjeux de ces élections législatives afghanes ?
Qu’on regarde du point de vue des Afghans ou de la communauté internationale, ces élections n’auront pas les mêmes portées et significations. Pour la communauté internationale, particulièrement l’Union européenne très engagée dans le financement du scrutin et dans sa surveillance, le principal enjeu des élections législatives afghanes est de légitimer les institutions afghanes en renouvelant les 250 députés de l’Assemblée nationale. Pour l’heure, le gouvernement afghan actuel n’est ni légal ni légitime. C’est la raison pour laquelle après trois ans d’attente, a été actée la nécessité de donner un caractère légal, conforme à la Constitution afghane, à la fois pour le gouvernement, mais également pour le Parlement. Cela peut se faire en organisant d’abord des élections législatives, suivies huit mois plus tard de l’élection présidentielle.
Le mandat des parlementaires afghans a pris fin en 2014. Or, depuis, il aurait dû y avoir de nouvelles élections et même de nouvelles lois électorales pour donner plus de garanties et de transparence, mais rien n’a été fait. L’actuel président de la République afghane, Ashraf Ghani, à la tête d’un gouvernement non fondé sur la loi, en l’occurrence la Constitution, a fait durer la vie du parlement actuel de trois ans en par décret présidentiel en toute illégalité.
La nomination d’Ashraf Ghani est en effet issue d’un compromis datant de fin 2014. Après les élections présidentielles contestées et entachées de fraudes massives, deux candidats arrivés en tête au second tour revendiquaient chacun la victoire. Or la situation s’est vite dégradée et le risque que dans un pays déjà en guerre entre les talibans et les forces de l’OTAN encore engagées en Afghanistan, les deux camps présents à Kaboul s’affrontent dans une deuxième guerre. Le secrétaire d’État américain John Kerry était alors intervenu et avait fait signer aux deux candidats un accord pour la formation d’un gouvernement d’union nationale. Cependant les protagonistes savaient bien que cet accommodement n’avait ni légalité ni légitimité, car organisé par un gouvernement étranger, alors qu’il fallait avant tout lui donner des bases juridiques. Or, il était prévu que dans l’année qui suivrait la formation du gouvernement, la constitution serait modifiée, et de nouvelles élections législatives seraient organisées.
Selon l’accord patronné par John Kerry, Ashraf Ghani, le protégé des Américains devenait le Président de la République et son challenger Dr Abdullah, ex-lieutenant du commandant Ahmad Shah Massoud, prendrait la tête du Conseil exécutif. Le poste de président du Conseil exécutif n’existait alors pas dans la constitution afghane. Puisque cette dernière est de type présidentiel, il n’y a pas de second pouvoir exécutif à côté du président de la République. Toutefois, pour satisfaire le deuxième candidat, il a fallu inventer ce poste ex nihilo. Le poste de président du Conseil exécutif, qui est en quelque sorte l’équivalent du Premier ministre, devait être ajouté à la Constitution. À la place d’un système purement présidentiel, l’Afghanistan aurait pu se doter d’un gouvernement de type français mi-présidentiel, mi-parlementaire. Mais rien n’a été fait par la suite.
En effet, le président de la République afghane n’a rien fait de cela ensuite et a tout mis de côté. Il n’a pas convoqué de grandes assemblées pour modifier la constitution, pour créer le poste de Premier ministre ou pour mettre en place des élections législatives. Ashraf Ghani a par conséquent gouverné sans aucune légitimité ni légalité.
Il faut donc organiser des élections aussi transparentes que possible et sans trop de contestations, pour que cela devienne un régime politique légitime et légal, et ainsi stabiliser et pérenniser l’État afghan.
Quels sont les principaux défis et risques liés aux élections législatives afghanes ?
Concernant les risques liés aux élections législatives, il y a d’abord et avant tout le risque sécuritaire. En effet, les talibans refusent toujours de reconnaitre la légitimité de ce gouvernement. Il est donc très probable que les talibans perturbent les processus électoraux, et troublent voire empêchent les électeurs de voter. Neuf candidats ont déjà été assassinés, notamment lors d’attentats qui ont fait par ailleurs plusieurs dizaines de morts. À la veille du scrutin législatif, le risque est que les talibans multiplient la démonstration de force. Ils ont en effet les moyens de le faire, comme l’a montré l’attentat qui a coûté la vie au général Razaq, le puissant chef militaire anti-taliban, au moment même où il était en réunion avec le commandant en chef des forces de la coalition à Kandahar, survenu le jeudi 18 octobre.
Enfin, plusieurs défis persistent : d’abord pour la communauté internationale. Cette dernière, par la voix de ses représentants respectifs à Kaboul, s’est donnée pour objectif principal que ces élections se déroulent honnêtement, sans violence, en toute transparence. En effet, la communauté internationale a d’importantes responsabilités notamment au regard des moyens mis en place et investis, soit 115 millions de dollars. Par ailleurs, l’opposition légale afghane refusait de participer à ces élections si aucune garantie de transparence n’était mise en place. Elle exigeait même, pour atteindre cet objectif de transparence, le contrôle des électeurs par des moyens biométriques, requête finalement acceptée par le gouvernement afghan. L’Union européenne (UE) a ainsi accepté de financer plus de 22 000 appareils biométriques.
Les talibans refusent toujours de reconnaître le gouvernement afghan, qu’ils jugent « illégitime », et souhaitent s’entretenir directement avec Washington. L’émissaire américain pour la paix en Afghanistan a ainsi rencontré une délégation talibane vendredi 12 octobre au Qatar. Quels sont les enjeux de ces négociations ? Quel rôle exercent toujours les États-Unis dans la pacification du territoire afghan ?
Nous ne sommes plus dans la situation où les talibans exigeaient des rencontres directes avec les États-Unis. Les talibans disaient par le passé que le gouvernement de Kaboul n’était pas légitime. Ils ne reconnaissaient pas ce régime qui était un régime fantoche et considéraient que leur pays était occupé. Après avoir refusé dans un premier temps d’entamer toutes négociations avec les Américains tant que ces derniers avaient encore des soldats sur le sol afghan, les talibans ont finalement accepté de le faire.
Ainsi, depuis plus de trois ans, sous les présidences de Barack Obama et de Donald Trump, des négociations entre talibans et États-Unis ont commencé. Ces négociations se sont intensifiées sous Donald Trump qui cherche à retirer ses troupes.
D’après la déclaration faite à l’issue de la rencontre entre l’envoyé spécial du secrétaire d’État américain pour l’Afghanistan et les représentants des talibans, le 12 octobre à Doha au Qatar, deux sujets principaux ont été discutés : la fin de « l’occupation » et la paix. Les Américains ont ainsi reconnu d’une certaine manière que ce sont les talibans qui contrôlent la situation et qu’il faut traiter avec eux. Les deux réunions précédentes qui avaient aussi eu lieu au Qatar avaient pour objectif de trouver des éléments de confiance entre les deux parties, notamment la libération de prisonnier. La nomination de Zulmaï Khalilzad en tant qu’émissaire américain pour la paix en Afghanistan a également permis d’accélérer les négociations, celui-ci étant d’origine afghane et un fin connaisseur du pays et des talibans. Il avait par ailleurs été ambassadeur en Afghanistan de George Bush.
Depuis que l’OTAN a mis fin à sa présence en Afghanistan en décembre 2014, la présence militaire occidentale est toujours d’actualité. Aujourd’hui encore, 18 000 soldats américains, mais également européens sont toujours présents sur le sol afghan. Depuis début 2015, si la mission de l’armée américaine est en théorie d’aider et de former l’armée afghane, elle participe de plus en plus directement aux combats.
L’élection présidentielle est prévue au printemps 2019. Que peut-on en attendre au vu des conditions délétères que connaît l’Afghanistan ?
Les élections législatives du 20 octobre seront une répétition générale de grande envergure pour l’élection présidentielle de l’année prochaine. Puisque l’Afghanistan n’a pas d’institutions légales et légitimes, la formation d’un parlement répondant à ces critères est cruciale. En effet, dans un régime présidentiel où tous les pouvoirs sont aux mains du président de la République, avoir un président non issu des élections, qui n’a donc pas de légalité, est sérieusement problématique.
Dans un même temps, la communauté internationale essaye de donner une image positive de l’Afghanistan. Par ailleurs, il y a actuellement beaucoup de candidats hommes et femmes issus de la société civile. Si une partie importante de ces candidats entre au parlement, alors la situation politique afghane aura un nouveau visage.
Si nous partons de la situation actuelle, il n’y a que peu d’éléments permettant d’être optimiste pour les prochaines élections présidentielles. Le seul élément positif est que l’ensemble de la communauté internationale veut jouer un rôle plus fort et plus sérieux afin d’empêcher par exemple des fraudes massives, même si le pouvoir est toujours aux mains des anciens chefs de guerre, des personnes influentes et puissantes, que ce soit à Kaboul, ou dans les provinces que le gouvernement ne contrôle pas réellement. L’ensemble de ces éléments montre que la situation est délétère. Toutefois si les élections législatives se déroulent convenablement, il y aura l’espoir que cela se reproduise lors des élections présidentielles.
Enfin, il ne faut pas oublier que malgré tous les efforts consentis par la communauté internationale, il faudrait avant tout mettre fin à la guerre en Afghanistan, et cela passe par des négociations sérieuses sur l’avenir du pays avec les talibans. Et c’est là où le bât blesse. Rien ne montre que les talibans ont changé. Dans les négociations engagées entre les talibans et les Américains, le gouvernement de Kaboul n’a pas sa place. Les élites afghanes de plus en plus hostiles aux talibans soupçonnent l’administration de Donald Trump de parvenir à un accord avec les talibans et de préserver leur influence avec un régime plus théocratique à l’image de l’Arabie saoudite, mais capable d’assurer une certaine sécurité dans le pays. L’Afghanistan est loin de voir le bout du tunnel.