Entretiens
6 mars 2014
La France est-elle malade du conflit israélo-palestinien ?
Vous venez de publier ‘La France malade du conflit israélo-palestinien’. Pensez-vous qu’il s’agisse du défi le plus important auquel la France est confrontée ?
Certainement pas. La France a des problèmes bien plus importants qui la mettent en cause directement : la crise économique, le chômage, les inégalités sociales, les discriminations, l’accès inégal à la santé, à l’éducation, au logement, etc., pour ne parler que des problèmes internes.
Sur le plan international, il y a d’autres défis majeurs : la redéfinition de son rôle dans un monde en mutation qui voit la fin du monopole occidental sur la puissance, le défi des pays émergents, la place qu’elle doit prendre dans la mondialisation sont bien sûr essentiels pour notre pays. Donc évidemment que le conflit israélo-palestinien n’est pas le problème le plus important qui se pose à la France. Par contre, c’est celui qui crée le plus de divisions et de tourments dans la société française. Les différences que les Français peuvent avoir sur l’appréciation des 35 heures, l’âge de la retraite ou la rémunération des chefs d’entreprise n’entraînent pas les querelles, les divisions, voire les excommunications qui découlent d’une différence d’appréciation sur le conflit israélo-palestinien. Des amis peuvent ne plus se parler à cause d’un désaccord sur ce point. Cela peut diviser les familles. Il suscite des incompréhensions. Ce n’est pas le sujet central mais c’est celui qui est le plus clivant dans notre société.
Espérez-vous une bonne promotion pour ce livre ?
Oui bien sûr. Les matinales de France Inter et France Culture se disputent pour avoir l’exclusivité, l’Express et Le Point s’arrachent les bonnes feuilles, Le Monde , Libération et Le Figaro sont au taquet pour pouvoir en faire la première chronique… Je plaisante évidemment ! Je ne crois pas que la plupart des médias centraux vont en rendre compte. J’ai déjà eu énormément de difficultés pour le publier, épisode que j’ai raconté dans un article. Il faut être conscient que si on ne prend pas la position médiatiquement dominante sur le conflit israélo-palestinien, il faut s’attendre à un certain nombre de difficultés. Parfois des journalistes, par militantisme pro-israélien éviteront d’en parler. Mais le plus souvent c’est par peur que le black-out se fasse. Je n’ai, à ce jour, pas vu d’experts, de responsables politiques, de journalistes être sanctionnés parce qu’ils avaient pris des positions en flèche en faveur du gouvernement israélien. Certains ont même bénéficié d’avantages. Par contre, il est très fréquent de voir des gens qui ont été sanctionnés parce qu’ils ont osé critiquer le gouvernement israélien. Et la crainte d’être accusé d’antisémitisme agit comme un rayon paralysant. Il y a dans notre démocratie un véritable climat de peur sur ce sujet.
L’antisionisme n’est-il pas le nouveau masque de l’antisémitisme ?
Ce sont deux notions différentes. L’antisionisme, c’est l’opposition à l’existence de l’État d’Israël. Il y a des juifs antisionistes ; soit pour des raisons religieuses (à droite), soit pour des raisons politiques (à gauche). Il y a également des non juifs qui s’opposent au fait que les juifs puissent disposer d’un État. L’antisémitisme est différent. C’est la haine du peuple juif. Les deux notions ne sont pas assimilables. Le problème est que les institutions juives et de nombreux intellectuels communautaires font un amalgame, non seulement entre l’antisémitisme et l’antisionisme – ce qui est déjà problématique – mais également entre la critique du gouvernement israélien et l’antisémitisme. Ceux qui critiquent actuellement Poutine pour son action en Crimée ne sont pas immédiatement accusés de racisme anti-russe, ceux qui critiquent Netanyahou pour l’action israélienne dans les territoires occupés sont régulièrement accusés d’antisémitisme.
Y a-t-il une importation du conflit en France ?
Oui, hélas, et les institutions et intellectuels communautaires qui le déplorent sont parfois les premiers à y contribuer en favorisant la défense de l’action du gouvernement israélien sur la lutte contre l’antisémitisme.
Récemment le président du CRIF, Roger Cukierman, a indiqué qu’il ne fallait pas qu’ils apparaissent comme la seconde ambassade Israël. Espérons que les actes suivront ces paroles de bon sens.