Israël – Hezbollah : vers la guerre ?

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L’explosion simultanée de plusieurs milliers de bipeurs puis de talkies-walkies utilisés par les membres du Hezbollah, vraisemblablement initiée par Israël, a causé un véritable choc au Liban. À quel point cette attaque est-elle préjudiciable au Hezbollah ? Quelle peut être sa réponse ?

Du point de vue de sa conception et de sa réalisation, l’opération de sabotage des bipeurs et des talkies-walkies du Hezbollah est d’une audace folle et prouve le savoir-faire des services de renseignements israéliens. Certes, comme à leur habitude, ils ne revendiqueront rien, mais à part Israël, on ne voit pas qui aurait l’intérêt et surtout la capacité d’organiser une telle opération, menée logistiquement de main de maître. Cela étant posé, il ne faut pas céder à une analyse technique de l’opération et la définir pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une campagne d’attentats politiques de masse visant indistinctement civils, militants ou combattants du Hezbollah, puisque les commanditaires israéliens ne pouvaient savoir à l’avance qui seraient en possession de ces bipeurs et autres talkies-walkies au moment de leur explosion.

37 morts et plus de 3 000 blessés : pour le Hezbollah, il s’agit d’une absolue déconvenue et d’une humiliation qui constituera une des dates charnières de son histoire. Il était en effet jusqu’alors considéré comme la structure la plus hiérarchisée et la plus disciplinée parmi les organisations politico-militaires au Moyen-Orient, voire à l’international. Dans le même ordre d’idées, il possédait la réputation d’être extrêmement cloisonné, d’avoir construit des services de renseignement et de sécurité d’une redoutable efficacité. Il jouait enfin de son aura d’incorruptibilité. Sans pouvoir considérer que ces éléments qui ont fait sa réputation soient réduits à néant, ils apparaissent pour le moins entachés.

Le Hezbollah a visiblement été infiltré et quelques-uns de ses membres ont probablement été retournés par les services israéliens. Un mythe tombe ainsi et il apparaît que l’organisation aura besoin de beaucoup de temps pour regagner la réputation dont il jouissait depuis plusieurs décennies. Lui qui se présentait comme l’adversaire le plus résolu et le plus efficient contre ce qu’il appelle l’« entité sioniste », subit ainsi un revers majeur.

Last but not least, nous ne pouvons sous-estimer que ces événements constituent pour le Hezbollah un facteur d’affaiblissement sur la scène politique libanaise dont il est depuis longtemps un élément central. Ses adversaires libanais vont tenter de profiter de la situation dans un Liban au bord de la faillite et où aucune personnalité ne se hisse au niveau des défis qui assaillent le pays, préférant s’adonner à de vains jeux picrocholins, alors que 100 000 personnes ont été déplacées au Liban-Sud et que 600 personnes y ont été tuées.

Quelles sont les raisons qui ont poussé Israël à viser le Hezbollah de cette manière ? Le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant vient d’annoncer une réorientation des forces armées du pays vers la frontière nord. Quelle est la stratégie d’Israël à l’égard du Liban ?

Les responsables israéliens expliquent qu’ils veulent relocaliser les populations du nord du pays – donc la zone frontalière avec le Liban – puisque 60 000 ressortissants israéliens ont été obligés de déménager vers le Sud au cours des derniers mois en raison des tirs mutuels incessants. Mais les responsables israéliens prennent les conséquences pour les causes. En réalité, l’état de guerre larvée qui prévaut à la frontière libano-israélienne persistera tant que les bombardements continueront à faire rage à Gaza et qu’un cessez-le-feu négocié ne sera pas imposé.

De fait, la raison principale qui explique l’opération israélienne réside avant tout dans la volonté du gouvernement de Benyamin Netanyahou de régionaliser le conflit. Pour ce dernier c’est en effet la garantie de regagner le complet soutien des puissances occidentales, au premier rang desquelles les États-Unis. On constate que depuis plusieurs mois les exigences de cessez-le-feu se font plus nombreuses – sans pour autant qu’à aucun moment des pressions effectives ne soient exercées à l’encontre d’Israël, notamment en matière de livraisons d’armes – et que les relations se distendent entre lesdites puissances occidentales et Tel-Aviv. Or, pour Benyamin Netanyahou, si une attaque militaire d’ampleur se produisait contre l’État d’Israël se reconstituerait alors immédiatement un appui inconditionnel, ce qui constitue in fine sa véritable garantie de survie politique.

Provoquer le Hezbollah à la faute reste donc tactiquement la politique du gouvernement israélien. L’organisation de Hassan Nasrallah est de ce point de vue piégée. Si elle reste sans réaction à la hauteur de l’événement, elle se déconsidère auprès de ses combattants, des Libanais et des forces de « l’axe de la résistance ». Si elle réagit fortement, elle a parfaitement conscience qu’elle ressortirait considérablement affaiblie d’un conflit avec Israël et, qu’en outre, le Liban en paierait le prix fort alors qu’il est déjà exsangue. Le discours de Hassan Nasrallah prononcé le 19 septembre est révélateur de la nasse dans laquelle se trouve son organisation. De belle facture rhétorique comme à son habitude, le contenu est de facto assez creux en dépit de ses promesses de « terrible châtiment » à l’encontre d’Israël. Ses menaces verbales n’effraieront probablement pas les responsables israéliens. Pour autant, on ne peut exclure des opérations ciblées du Hezbollah contre des intérêts israéliens en Israël même, ou à travers le monde. Gardons néanmoins à l’esprit que le Hezbollah est conjoncturellement désorganisé et affaibli et que ses capacités d’initiative sont réduites.

Alors qu’une guerre ouverte entre le Hezbollah et Israël semble se profiler, et qu’aucun règlement de la crise avec Gaza n’est à l’ordre du jour, l’État hébreu se trouve-t-il dans une impasse stratégique ? Quid de la « communauté internationale », alors que l’Assemblée générale de l’ONU vient d’exiger le départ d’Israël des territoires palestiniens occupés ?

Pour les raisons évoquées précédemment, une guerre ouverte entre Israël n’est pas la probabilité la plus forte, mais l’impasse stratégique est en effet totale pour une raison simple : le refus obstiné du gouvernement de Benyamin Netanyahou à envisager une solution politique. La fuite en avant et la politique jusqu’au-boutiste qu’il incarne entraîne Israël dans une impasse totale et cristallise en son sein même des oppositions. Chacun comprend désormais que sauver la vie des otages et obtenir leur libération n’est pas l’objectif du gouvernement de Tel-Aviv. Quant à la réaffirmation de sa volonté d’éradiquer le Hamas, c’est un non-sens et il n’y parviendra pas. Cette impasse est aggravée par la politique annexionniste mise en œuvre en Cisjordanie où les colons radicalisés semblent avoir carte blanche pour multiplier les exactions, quand ce n’est pas l’armée israélienne elle-même qui perpétue des violences au mépris de tout droit élémentaire. Sur la durée, cela contribuera à isoler durablement Israël notamment au sein des États du Sud.

La paralysie de ladite « communauté internationale » est particulièrement atterrante. Les condamnations verbales sont certes régulières, mais aucune véritable sanction n’est prise contre le gouvernement d’extrême droite israélien qui jouit d’une complète impunité. Outre l’horreur de la situation à Gaza, c’est en réalité l’architecture de l’application du droit international qui est remise en cause. Il apparait qu’il n’existe quasiment plus d’organisation de régulation de la vie politique internationale, tant l’ONU semble être tétanisée et réduite à une machine à fabriquer des communiqués. Dans le même mouvement, le sentiment du deux poids – deux mesures se renforce, notamment au sein des États du Sud pour lesquels les différences de traitement entre la guerre en Ukraine et celle qui fait rage à Gaza sont patentes. Cette situation ne pourra perdurer longtemps tant les tensions sont fortes. Probablement sommes-nous à un tournant du cours des relations internationales.