Inde : une victoire à la Pyrrhus pour Narendra Modi

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C’est une victoire en demi-teinte pour le Premier ministre indien sortant Narendra Modi. Pour la première fois depuis 2014, l’homme fort du gouvernement et son parti du BJP perdent la majorité absolue qu’ils détenaient au Parlement. Avec une nette progression dans les suffrages, l’opposition, et notamment le parti du Congrès national indien, évoque une « défaite morale » pour Modi et le BJP. Le dénouement de ces 77 jours de scrutin soulève ainsi plusieurs interrogations. Comment se sont déroulées ces élections ? Quels sont les multiples enseignements à tirer des résultats ? Peut-il y avoir une influence sur les positions indiennes à l’international ? Éléments de réponse avec Olivier Da Lage, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste de l’Inde et de la péninsule arabique.

Dans quel contexte politique, économique et social se sont tenues les élections législatives indiennes ? Avec 970 millions d’électeurs attendus, plus grandes élections de l’histoire, comment s’est déroulé ce suffrage ?

Le scrutin proprement dit s’est déroulé en sept phases qui se sont étirées du 19 avril au 1er juin, soit 77 jours au total ! Cette durée a été exceptionnellement longue, même s’il est habituel en Inde que le vote se déroule en plusieurs phases, compte tenu de l’étendue du pays. Cela permet de déployer dans les différents États à tour de rôle les forces de sécurités chargées de veiller à ce que les opérations électorales se déroulent dans l’ordre. Mais cette extension de la durée de vote a pour effet de modifier la tonalité de la campagne au fur et à mesure de l’avancement dans le temps. Certaines candidatures ne sont pas encore déclarées que les opérations sont déjà achevées dans d’autres régions du pays. Les thèmes de campagne évoluent aussi en fonction du ressenti des débuts de la campagne (et bien sûr également des thématiques propres à chaque région). Tout bien considéré, les élections proprement dites se sont déroulées dans le calme et dans l’ordre, si l’on excepte quelques violences localisées et qui sont habituelles dans l’histoire électorale du pays. Mais les opérations ont également été marquées par une vive défiance de l’opposition à l’encontre de la Commission électorale, un organe constitutionnel composé de trois personnes nommées par le gouvernement et qui venait d’être remanié par le Premier ministre Narendra Modi. Le fait que la Commission électorale, contrairement à l’habitude, ait refusé de publier les chiffres absolus de la participation électorale, se contentant de donner des pourcentages – avant de changer de position, abruptement et sans explication, a ajouté à la confusion, tout comme le refus de confirmer, jusqu’à l’avant-veille du dépouillement que les bulletins envoyés par la poste seraient décomptés avant de commencer à compter les résultats des machines à voter. En fin de campagne et au début des opérations de vote, le BJP du Premier ministre Narendra Modi était donné grand gagnant et annonçait même viser 400 sièges sur les 543 que compte la Lok Sabha (Assemblée nationale). Dans la législature sortante, le BJP disposait de la majorité absolue avec 303 sièges, rendant superflue l’alliance NDA avec des partis supplétifs qui n’étaient pas en mesure de peser sur les décisions. Mais au fil du temps, les échos du terrain ont montré que les candidats du BJP rencontraient plus de difficultés que prévu et que la «magie » Modi ne fonctionnait plus aussi bien que par le passé. Or, toute la campagne du BJP s’est faite sur la personnalité du Premier ministre et son programme pour les cinq ans à venir était très général et se résumait largement au slogan « Modi ki guarantee » (la garantie de Modi). On a alors pu sentir une nervosité croissante dans les rangs de la majorité sortante tandis que dans ses meetings et ses interviews, le Premier ministre a accusé le Parti du congrès d’emprunter son programme à la Ligue musulmane pakistanaise et de vouloir dépouiller les femmes hindoues de leurs bijoux en or pour les donner aux musulmans. Alors que la campagne de Modi en 2014 s’était déroulée sur le thème de la bonne gouvernance et celle de 2019 sur la sécurité aux frontières du pays, en 2024, il a donné le sentiment de s’en prendre aux 200 millions de musulmans indiens, tout en s’en défendant par ailleurs.

Annoncé grand favori pour un troisième mandat, quelle analyse peut-on faire des résultats de Narendra Modi et du Bharatiya Janata Party (BJP) ? Quels sont les autres enseignements à tirer de ces élections ?

Le BJP a perdu la majorité absolue qu’il détenait depuis 2014 et renforcée en 2019. Il a dû sentir le risque, car en cours de campagne, il a ressuscité l’Alliance NDA qui était virtuellement inexistante depuis 2014. Peu auparavant, le président du BJP avait pourtant laissé entendre qu’avec le temps, il n’y aurait plus qu’un seul parti en Inde : le BJP. Avec ses alliés, y compris l’imprévisible chef du gouvernement du Bihar Nitish Kumar qui avait été à l’origine de l’alliance des 28 partis d’oppositions réunis au sein de la coalition INDIA avant de rejoindre à la coalition au pouvoir par un revirement dont il a le secret, Narendra Modi peut toujours compter sur une majorité au parlement. Mais d’une part, ses alliés vont probablement monnayer cher leur soutien et limiter les volontés que l’on prête à Narendra Modi de transformer en profondeur l’Inde pour en faire un État officiellement hindou, d’autre part, cette victoire à la Pyrrhus est un camouflet personnel pour le chef du gouvernement sortant dont le pouvoir était aussi personnalisé. Pour sa part, le parti du Congrès échappe à l’effacement qui menaçait et sa stratégie électorale d’alliance avec des partis régionaux s’est avérée payante pour lui comme pour ses partenaires, ce qui permet à l’opposition de revenir en force à la Lok Sabha, même si elle y demeure minoritaire.

Quelle peut être l’influence de ces élections sur les ambitions internationales indiennes ?

Probablement aucune. D'un côté, la politique étrangère qu'aurait menée un gouvernement dirigé par le parti du Congrès n'aurait guère été très différente de celle conduite par Narendra Modi, d'autre part, le fait que l'opposition ait obtenu un score plus qu'honorable peut être présenté comme un démenti à ceux qui affirmaient que la « plus grande démocratie du monde » n'était plus qu'une « autocratie électorale ». Mais surtout, les réalités géopolitiques n'ont pas changé avec les résultats publiés ce 4 juin : la Chine est toujours la voisine de l'Inde et sa puissance perçue comme une menace à la fois par l'Inde et les pays occidentaux. Ces derniers vont donc continuer de courtiser New Delhi et pour sa part, l'Inde poursuivra sa politique de « multialignement » qui consiste à rester amie avec la Russie et Israël tout en étant proche des pays arabes et des Occidentaux. Jusqu'à présent, cette politique de funambulisme a plutôt réussi à l'Inde dont le taux de croissance (8,2 % pour l'exercice budgétaire 2023-2024) suscite bien des convoitises commerciales chez ses partenaires, notamment occidentaux.

 

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