Analyses
2 avril 2014
Entre l’Afrique de l’Ouest et l’Europe, un nouvel avatar : les APE
Après quinze ans de difficiles négociations, seize pays de l’Afrique de l’Ouest (les 15 pays de la CEDEAO plus la Mauritanie) et l’UE étaient pourtant parvenus le 7 février 2014 à un compromis sur la mise en œuvre d’un APE, rompant avec la Convention de Lomé qui était en vigueur depuis 1975 maintenait un régime particulier non compatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est donc abandonné.
De quoi s’agit-il ? Véritable accord de libre-échange, les APE prévoient la suppression immédiate des droits de douane sur les importations en provenance des pays africains à destination du marché européen, ainsi qu’une diminution progressive, mais étalée sur 20 ans, de ces mêmes droits dans l’autre sens. L’accord spécifie que les Etats africains sont tenus d’ouvrir à 75% de leurs importations, mais c’est à eux de choisir les secteurs qu’ils souhaitent encore protéger et ils ont désormais vingt ans pour le faire, afin de préparer leurs productions à la concurrence. Bruxelles a fait beaucoup de concessions sur son projet initial. En outre, l’accord est assorti d’une enveloppe de 6,5 milliards d’euros sur la période 2015-2020 afin de soutenir les efforts des pays dans la mise en œuvre des réformes et la réalisation d’investissement nécessaires à l’adaptation de leur commerce.
Ces trois sujets (ampleur de l’abolition des droits, délais de la transition et montant de la compensation financière) demeurent au centre des controverses. Entre les deux parties, se sont échangés autant des arguments idéologiques que commerciaux, avec une montée au créneau des ONG dénonçant les risques d’une application aveugle du libre échange dans une relation, entre pays riches et pays pauvres, structurellement asymétrique. Les APE proposés par Bruxelles sont perçus par le Nigeria et d’autres Etats comme un marché de dupes. En éliminant leurs tarifs douaniers, en se privant de la sorte de recettes douanières sur lesquelles sont construits leur budget national, en supprimant les possibilités de protéger les industries naissantes et les agricultures locales contre la concurrence européenne, les APE impliqueraient de renoncer à une série de protections commerciales, alors qu’elles ont été appliquées en Europe au cours de son propre processus de développement. Rigged Rules and Double Standards – Règles biaisées et système de deux poids deux mesures – dénonce Oxfam.
Plusieurs autres sujets se sont avérés particulièrement délicats dans la négociation. Comme celui de la clause de la nation la plus favorisée (NPF). Bruxelles avait initialement demandé que si la CEDEAO voulait conserver la possibilité de promouvoir sa coopération Sud-Sud et qu’elle accordait ainsi un accès préférentiel à un autre pays, elle devait également accorder le même traitement à l’UE. En fin de compte, les négociateurs sont convenus que tout nouveau traitement tarifaire favorable fourni à un autre partenaire commercial devait être ipso facto consenti à l’UE, à la condition qu’il ait une part du commerce international supérieure à 1,5% et un niveau d’industrialisation supérieur à 10% au cours de l’année précédant l’entrée en vigueur de l’accord. Ciblés par ces critères sont évidemment les concurrents redoutés de l’Europe que sont l’Inde, la Chine, la Corée, la Turquie et le Brésil.
La question des subventions agricoles européennes, sources de graves distorsions et de concurrence déloyale dans le commerce au détriment de l’Afrique, a été un autre sujet de divergence. L’UE ne souhaitait pas l’inclure dans le champ des APE. Les deux parties sont finalement convenues de garantir la transparence de leurs politiques et de leurs mesures de soutien interne respectives. L’UE a formellement promis de s’abstenir de recourir aux subventions à l’exportation pour les produits agricoles exportés vers les marchés d’Afrique de l’Ouest. Bruxelles devra faire régulièrement rapport à l’Afrique de l’Ouest de ses mesures, y compris sur leur fondement juridique, leur nature et les montants qui y sont liés.
Enfin dernier sujet qui fâche, la clause dite de non-exécution, qui permet de suspendre les engagements en cas de violation des Droits de l’Homme et de non-respect de la démocratie. Un sujet lancinant d’agacement pour le Nigeria qui s’est en permanence opposé à l’inclusion dans un accord commercial d’une clause qu’elle qualifie de « politique ». Finalement, Bruxelles a cédé et le projet d’accord a abandonné cette clause qui pourtant tenait tant à cœur aux organisations de la société civile.
L’Europe qui espérait convaincre les autres groupements régionaux, notamment la South African Development Community (SADC) et l’East African Community (EAC) d’accepter les termes des APE se trouve encore une fois en difficulté. Les négociations seront encore longues et difficiles car ces groupements n’ont pas seulement l’Union européenne comme principaux partenaires.