Vers un cessez-le-feu en Ukraine ?

5 min. de lecture

C’est un changement radical de position qu’a entamé le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Il a annoncé être prêt à renoncer temporairement à une partie des territoires ukrainiens perdus depuis le début de la guerre en échange d’un cessez-le-feu durable et à condition que les territoires restant sous sa souveraineté soient admis dans l’OTAN. Jusqu’ici, il ne voulait pas parler de négociations avec Vladimir Poutine et, encore moins de renoncer à des territoires. Il affirme qu’il obtiendra la restitution de ces territoires par la suite par la voie de la négociation. En réalité, chacun sait que Vladimir Poutine ne rendra jamais les territoires. Mais c’est une façon pour Volodymyr Zelensky de ne pas perdre la face, ce qui est un objectif tout à fait compréhensible. Un accord ne pourra être trouvé entre l’Ukraine et la Russie qu’à condition que personne ne perde la face. Il est plus réaliste pour Volodymyr Zelensky de faire ce type de proposition plutôt que de rester dans un déni total, ce qui était encore le cas il y a peu chez les dirigeants ukrainiens.

Pourquoi un tel retournement maintenant ? Keith Kellogg, l’homme chargé par Donald Trump de gérer le dossier de la guerre en Ukraine, a averti que l’aide militaire à l’Ukraine cesserait si une négociation n’était pas ouverte, et que Kiev n’admettait pas la perte de territoires. Cette situation d’occupation de près de 20% du territoire ukrainien par la Russie est évidemment illégale, et injuste. C’est une claire violation du droit international puisque c’est une acquisition de territoires par la force, l’une des plus impératives interdictions du droit international depuis 1945. Mais, principes et réalités sont en contradiction. L’Ukraine a longtemps affirmé qu’une augmentation massive de l’aide militaire permettrait d’inverser le cours de la guerre et de parvenir à ses objectifs. Mais les responsables militaires occidentaux savent depuis longtemps que les buts de guerre de Volodymyr Zelensky sont inatteignables. La démographie reste défavorable à l’Ukraine. La population ukrainienne est 4 à 5 fois moins nombreuse que la population russe. Par ailleurs, côté européen, tout comme aux États-Unis, la fatigue de l’aide commence à se faire sentir.

La solution évoquée par le président ukrainien ne mènera pas à une paix juste puisque l’Ukraine perdrait par là le contrôle effectif d’une partie de son territoire, tandis que la Russie se verrait récompensée pour les violations du droit international qu’elle a commises.

Mais tous les moyens de pression ont été utilisés à l’encontre de la Russie à l’exception d’un affrontement plus généralisé, jusqu’ici empêché par l’arme nucléaire dont dispose Moscou. L’alternative, c’est la poursuite inutile de la guerre que l’Ukraine ne peut gagner militairement, l’épuisement du pays, et la perte supplémentaire de nombreuses vies humaines. On peut concevoir de poursuivre la guerre si la victoire est en vue. Le faire alors que l’on sait qu’elle est impossible est beaucoup plus discutable.

Personne ne reconnaitrait dans le monde occidental une telle annexion. Tout comme d’ailleurs dans le Sud global. Même la Chine ne reconnaît pas l’annexion de la Crimée de 2014. Mais il faut donner des garanties à l’Ukraine. La crainte de cette dernière, et celle des Occidentaux, est que ce cessez-le-feu serve plutôt de « pause » à la Russie pour mieux repartir à l’assaut. La Russie est elle aussi épuisée par la guerre, et par les sanctions qui, même si elles ne l’ont pas mise à genoux, l’ont beaucoup affectée. Une fatigue de la guerre se fait nécessairement sentir en Russie également. On ne peut cependant ignorer aucune option. Vladimir Poutine nous a déjà montré qu’il pouvait prendre des décisions qui ne sont pas dans l’intérêt de la Russie. Si la guerre lui a permis de gagner des territoires, sur le long terme, il a affaibli la Russie et la place qu’il laissera dans l’histoire en est mise en cause. Sur le long terme, la Russie aurait été plus puissante si elle ne s’était pas lancée dans ce conflit.

Dans ce contexte, que signifie donner des garanties à l’Ukraine ? Elle demande à pouvoir entrer dans l’OTAN. Les États-Unis, comme de nombreux pays européens, s’y opposent. C’est inacceptable pour Moscou et une telle condition lui fera préférer de poursuivre la guerre. Mais s’il y avait un cessez-le-feu, prépositionner des soldats non pas de l’OTAN, mais de nations européennes membres de l’OTAN peut être étudié. Ce n’est pas la même chose que de les y envoyer alors que le pays est en guerre. Il s’agirait alors non pas d’entrer en guerre contre la Russie, mais de stationner des troupes dans un pays ami, afin de dissuader une nouvelle agression. Il était irresponsable de songer à envoyer des militaires occidentaux avec le risque d’un affrontement direct avec les forces armées russes lorsque l’Ukraine était en guerre. Cela peut s’étudier après un cessez-le-feu.

Il faut en revanche se méfier des demandes en provenance des États-Unis d’accélérer le processus d’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne. Il y a un problème grave de gestion de l’Ukraine qui connait un important niveau de corruption. Une entrée trop rapide de l’Ukraine déstabiliserait l’Union européenne. Cette dernière ne doit par ailleurs par être la seule à payer le prix de la reconstruction de l’Ukraine, surtout si l’Ukraine ne met pas en œuvre des processus de transparence sur la gestion des fonds. Il ne faut pas donner des crédits sans fin – en provenance par ailleurs d’États européens dont les finances publiques sont exsangues – qui seraient redistribués entre des mains invisibles en Ukraine.

On se dirige peut-être vers la fin de cette guerre très meurtrière. Volodymyr Zelensky se retrouve aujourd’hui à proposer ce qui était déjà sur la table au printemps 2022, qu’il avait refusé parce que Boris Johnson, l’ancien Premier ministre britannique, lui avait conseillé de poursuivre la guerre, lui assurant un soutien sans faille pour reconquérir l’ensemble des territoires. Certes, la crédibilité stratégique des Occidentaux – qui avaient commis l’erreur d’endosser sans conditions les buts de guerre de l’Ukraine – sera atteinte. Mais ceux qui continuent de faire de la restitution des territoires conquis par la Russie la condition d’un cessez-le-feu n’ont pas de solution à fournir pour y parvenir sauf à prendre le risque d’une troisième guerre mondiale. Il y a dans cette perspective quelque chose d’immoral, puisque cela induit une acquisition de territoire par la force par la Russie. Mais il est également immoral de continuer une guerre qui ne changera aucune réalité sur le terrain et qui suscitera plus de morts, plus de blessés et plus de mutilés.

Si un cessez-le-feu intervenait dans ces conditions, ce ne serait bien sûr pas une situation idéale, l’alternative – la poursuite de la guerre – est encore moins satisfaisante.

Cet article est également disponible sur Médiapart et sur le blog de Pascal Boniface.