Pourquoi la démocratie a besoin de la religion. À propos d’une relation de résonance particulière // Hartmut Rosa

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  • Rose Mélot Chesnel

    Rose Mélot Chesnel

    Assistante de recherche à l’IRIS

Dans Pourquoi la démocratie a besoin de la religion, le sociologue allemand Hartmut Rosa associe deux de ses concepts les plus connus – l’immobilité fulgurante et la résonance – pour établir un diagnostic de la société moderne et proposer un traitement original reposant sur la religion, pourtant souvent considérée obsolète. Ce texte est adapté d’une conférence donnée devant une assemblée de religieux chrétiens à la Rencontre diocésaine de Würzburg de 2022, dont l’objectif était de démontrer l’utilité a priori paradoxale de l’Église dans la société actuelle.

Hartmut Rosa brosse un portrait de la crise que traversent les sociétés démocratiques modernes, dont l’épidémie de burn-out est l’expression manifeste. Tout d’abord, le sociologue décrit le modèle sur lequel les sociétés modernes s’organisent, la stabilisation dynamique, qui les pousse à soutenir une croissance continue pour conserver le statu quo. Le rapport des êtres humains à leurs besoins a donc changé : alors que pendant une bonne partie de l’Histoire, une grande part de la population se contentait de remplir des besoins bien déterminés, les sociétés modernes sont troublées par une amplification constante de leurs besoins, provoquée entre autres par des phénomènes de mode et la structure de l’économie, qui repose sur la croissance de la production et de la consommation. Si ce modèle de croissance a fait ses preuves pendant les Trente Glorieuses, les individus du XXIe siècle ne travaillent plus pour un avenir meilleur, mais « pour que la vie de la génération suivante ne soit pas beaucoup moins bonne » que la leur (p. 51).

D’après Hartmut Rosa, produire toujours plus et comprendre toujours mieux notre environnement ne génère aujourd’hui qu’une grande insatisfaction. Dans un contexte généralisé d’exploitation instrumentale de notre environnement social et naturel où la to-do list de chacune et chacun est interminable et les énergies – individuelles, environnementales, politiques – s’épuisent, il ne reste pas de place pour l’écoute et le compromis, et chacun s’enferme dans un « rapport d’agression au monde » (p. 40). Suivant les mots de l’auteur, aujourd’hui, quand deux personnes ont des points de vue différents, chacun veut que l’autre « la boucle » (p. 42).

Face à ce constat exposé dans les deux premiers tiers de la conférence, une solution s’impose, selon Hartmut Rosa : s’arrêter et tendre l’oreille (aufhören). Si certaines et certains cherchent cette « résonance » dans la sylvothérapie ou l’astrologie, l’auteur estime que la religion constitue l’outil le plus abouti pour former la population à cet état d’esprit. Pour lui, la « résonance » est un mouvement de disponibilité et de vulnérabilité face à l’Autre qui ouvre la possibilité d’une transformation chez les interlocuteurs via l’écoute. Par exemple, dans un amphithéâtre universitaire, un étudiant lève la tête en réaction à l’écho de ce qui est dit, les mots du professeur entrant en résonance. Parfois, la résonance déclenche chez l’individu une remise en question de ses convictions, et c’est ce processus qui est à l’origine de la démocratie, d’après Hartmut Rosa.

Malgré la qualité de l’argumentation d’Hartmut Rosa lorsqu’il signale les blocages de la société moderne, les lecteurs et lectrices restent sur leur faim pour concrètement saisir le rôle de la religion : aucune illustration substantielle ou résultat d’enquête n’appuie les propos du sociologue, qui se contente d’évoquer la prière comme lieu de résonance intérieure et extérieure par excellence, comme s’il y avait là une évidence pour toutes et tous. De ce fait, le lecteur athée peut difficilement entendre des sous-entendus qui s’adressent avant tout à l’assemblée des clercs à Würzburg. Si le texte est fluide et constitue une bonne synthèse introductive des concepts d’Hartmut Rosa, la réponse apportée à la question posée dans le titre n’est guère convaincante, par manque de démonstration sur le dernier tiers de la conférence qui était contrainte par le temps. L’auteur attise donc dans cette publication la curiosité des lecteurs et lectrices pour ses autres ouvrages, plus développés.